Antonin Artaud en 1926
Inventeur du concept de « théâtre de la cruauté » dans Le Théâtre et son Double, Artaud aura tenté de transformer de fond en comble la littérature, le théâtre et le cinéma. Par la poésie, la mise en scène, la drogue, les pèlerinages, le dessin et la radio, chacune de ces activités a été un outil entre ses mains, « un moyen pour atteindre un peu de la réalité qui le fuit ». Il combattra par de constantes injections de médications les maux de tête chroniques qui le taraudent depuis son adolescence. Cette omniprésence de la douleur influera sur ses relations comme sur sa création. Il sera interné en asile pendant près de neuf ans, subissant de fréquentes séries d'électrochocs.
En 1920, il arrive à Paris et se met à écrire. Son premier recueil est refusé en 1923 par Jacques Rivière, directeur de la NRF, et une correspondance commence entre eux. Artaud lui explique que son écriture est une lutte contre la pensée qui l'abandonne, le néant qui l'envahit. Rivière publie la correspondance dans la NRF.
En 1923, il publie, à compte d'auteur et sous le pseudonyme d'Eno Dailor, le premier numéro de la revue Bilboquet, une feuille composée d'une introduction et de deux poèmes : « Toutes les revues sont les esclaves d'une manière de penser, et, par le fait, elles méprisent la pensée.[…] Nous paraîtrons quand nous aurons quelque chose à dire ».
En 1924, André Breton confie au poète la direction de la Centrale du bureau des recherches surréalistes. Au cours de cette période, il écrit des scénarios de films et des poèmes en prose, et plusieurs textes sont publiés dans La Révolution surréaliste, l'organe du groupe surréaliste. Le 10 décembre 1926, au cours d'une réunion du groupe, l'adhésion au Parti communiste français est envisagée. Artaud refuse et quitte le groupe, pensant que la révolution doit être spirituelle et non politique.
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L'esthétique d'Artaud se construit constamment en rapport au surréalisme, d'abord en s'en inspirant, puis en le rejetant (notamment sous la forme que lui donne André Breton).
André Breton, dans son premier Manifeste du surréalisme (1924), mentionne Artaud en passant, sans lui accorder une importance particulière.
Le second Manifeste (1930) arrive après la rupture d'Artaud avec les surréalistes, et Breton lui adresse une critique sévère, quoiqu'esthétiquement peu développée (ses griefs sont surtout d'ordre personnel). Il dénonce notamment le fait que l'« idéal en tant qu'homme de théâtre » d'« organiser des spectacles qui pussent rivaliser en beauté avec les rafles de police » était « naturellement celui de M. Artaud ».
Ce jugement qui paraissait irrévocable est corrigé par André Breton après l'hospitalisation d'Artaud : dans l'Avertissement pour la réédition du second manifeste (1946), Breton dit n'avoir plus aucun tort à compter à Desnos et Artaud, à cause des « événements » (Desnos est mort en camp de concentration depuis, et Artaud passe plusieurs mois en psychiatrie à subir des électrochocs).
Pure politesse peut-être ; reste que Breton, dans des entretiens publiés en 1952, reconnaît à Artaud une profonde influence sur la démarche surréaliste. Il dit également de lui qu'il était « en plus grand conflit que nous tous avec la vie ».
Pour Jean-Pierre Le Goff, la démarche surréaliste est essentiellement ambivalente, « marquée à ses deux pôles par les figures d'André Breton et Antonin Artaud ».
Ces deux visions du surréalisme sont comme opposées et complémentaires à la fois. Breton cherchait essentiellement la beauté et l'émerveillement dans la vie, il souhaitait dompter au moyen de l'art « l'altérité inquiétante » de l'inconscient, centrant sa pensée sur la « dynamique positive de l'Eros » aboutissant à la révolution.
Artaud rompt avec cette vision de la poésie et de la vie, expliquant dans son texte « À la grande nuit ou le bluff surréaliste » qu'« ils [les surréalistes] aiment autant la vie que je la méprise ».
La rage d'exister d'Artaud n'est pas caractérisée par la capacité de s'émerveiller, mais au contraire par la souffrance et l'angoisse incurables.
Cela se ressent dans son esthétique littéraire : Artaud déclare dans Le Pèse-nerfs que « toute l'écriture est de la cochonnerie ». Artaud s'éloigne ainsi irrémédiablement de tout platonisme en art.
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