dimanche 22 septembre 2013

PAUL DELVAUX SURREALISTE ?


Paul Delvaux était-il un peintre surréaliste, ou un héritier tardif du symbolisme ?

A l'occasion de l'exposition de 2009 « De demain à Delvaux », l'historien de l'art Xavier Cannone apporte quelques réflexions lors d'un entretien accordé à Alain Delaunois (mars 2009)


Xavier Cannone


Delvaux a été exposé à ses débuts aux côtés de Magritte, par son ami E. L. T. Mesens notamment, lui-même membre du groupe surréaliste bruxellois, et salué par des écrivains comme Breton et surtout Eluard. Mais est-il membre du groupe surréaliste belge à part entière ?
Les surréalistes français, Éluard et Breton notamment, ont un peu eu tendance à le considérer comme un des leurs, le connaissant très peu et ne le fréquentant pas, s'attachant essentiellement à ses images. Les surréalistes belges avaient une connaissance toute différente du personnage – rappelons que Magritte et Delvaux se sont fréquentés dès leurs années d'académie, fin des années 1910, début des années 1920, et qu'ils se sont cotoyés tout au long de leur vie.
Il faut séparer deux choses, la peinture et l'attitude. Delvaux n'a jamais fait partie du mouvement surréaliste, on ne retrouve son nom qu'épisodiquement dans des revues surréalistes, et il n'a jamais été un collaborateur actif et coopérant. Il existe un point de jonction, en 1940, lors de la publication des deux numéros de la revue « L'Invention collective », où il apparaît, sans doute un peu à l'instigation des surréalistes français.
À côté de cela, il y a l'attitude elle-même. Delvaux n'a pas marqué d'intérêt personnel pour la chose politique, ni pour l'activité de groupe, militante, provocante, parfois dangereuse, qui sont les marques du groupe surréaliste belge. Delvaux était un homme sans doute très timide, tourné vers lui-même et touché par son modèle intérieur, et il a radicalement échappé à l'engagement surréaliste tel qu'on le conçoit ici en Belgique.
 
 
Mais Delvaux a subi néanmoins l'influence de peintres surréalistes, tels que Chirico ou même Magritte.
Delvaux s'est positionné à certains moments, vis-à-vis de sa clientèle, de son public, de certains critiques d'art, comme un surréaliste. Mais à d'autres moments où le surréalisme faisait scandale, où cela pouvait choquer son public, il a pris ses distances. Son attitude a été, jusqu'aux années 1950 en tout cas, assez ambigüe. Au-delà, il a clairement dit dans certains articles ou interviews, qu'il n'était pas surréaliste. Mais son univers pictural, c'est vrai, prend clairement ses racines chez Chirico, et plus tardivement, vers 1936-37, dans l'expressionnisme.
Il y a chez Delvaux une forme de théâtralisation d'un univers onirique, qui le rapproche de Chirico.
Oui, et il y a chez Delvaux une composante supplémentaire, celle de l'enseignement de ses professeurs, beaucoup plus présente que chez Magritte qui s'en est rapidement démarqué, et est entré très vite dans la modernité. La composante symboliste - et pas symbolique - de Constant Montald et Jean Delville, qui furent les professeurs de Delvaux, a beaucoup plus compté que pour Magritte. Cette théâtralisation me paraît un élément de cette volonté de Delvaux à introduire un récit dans ses tableaux. Il y a chez lui une narrativité constante, alors que Magritte privilégie l'idée-choc. Un tableau de Delvaux est une scène fermée, comme celle d'un théâtre, où tous les éléments sont présentés devant le spectateur. Chez Magritte, il s'agit davantage de poser une question.
 
 
L'érotisme de Delvaux est-il un point de convergence avec d'autres surréalistes ? 
Delvaux a beaucoup peint les femmes, mais il a aussi toujours peint la même, pour reprendre les mots d'Éluard. Quand on voit la représentation de la femme chez des surréalistes belges comme Marcel Mariën, Léo Dohmen, ou Magritte, l'érotisme de Delvaux est assez « soft ». On sait aujourd'hui que cela vient notamment de son enfance, et de l'image d'une mère qui lui a longtemps été présentée comme une sœur. Chez les surréalistes, l'érotisme est une arme de provocation, un gros mot ou un coup de poing. C'est une manière d'exposer la nudité pour provoquer des réactions. Beaucoup moins chez Delvaux, dont pourtant certaines peintures ont pu choquer à son époque, entre autres le futur pape Jean XXIII.  L'œuvre de Mariën a connu jusqu'à des temps relativement proches la censure, mais on voit mal une femme de Delvaux affublée d'un cache-sexe...
 
 
L'imaginaire de Delvaux se féconde, également, de la culture classique, des mythologies grecques et latines.
Certainement, avec ce que cela comporte d'intemporalité. Les œuvres de Delvaux se situent souvent dans des lieux figés, villes, gares, théâtres urbains. L'apport des villes antiques, des colonnes grecques et des chapiteaux nous ramènent à Chirico. Et cela a certainement faussé le regard de nombreux jeunes peintres, qui ont cru qu'il suffisait de peindre une femme nue dans un décor de théâtre et des ambiances nocturnes pour être un surréaliste. L'œuvre de Delvaux est une œuvre classique et, tout préjugé ou considération esthétique mis à part, je la considère comme une survivance du symbolisme au XXe siècle.
 
 
 
Paul Delvaux place St-Lambert à Liège
 
 
 
 
 

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