vendredi 2 août 2013

HENRI GOUGAUD-LES SURREALISTES ET LE REVE 4/4

 
DIANE LANGE
 
 
 
1924 est l’année majeure du surréalisme. le premier numéro de “La révolution surréaliste” inaugure une période d’élaboration théorique. André Breton publie “Poisson soluble” : c’est un texte-rêve. Le premier manifeste, d’abord conçu comme une préface à cette oeuvre, paraît la même année. “l’homme-brasier” entre puissamment dans le débat idéologique : “Si les profondeurs de notre esprit recèlent d’étranges forces capables d’augmenter celles de la surface, ou de lutter victorieusement contre elles, il y a tout intérêt à les capter d’abord pour les soumettre ensuite, s’il y a lieu, au contrôle de la raison. Les analystes eux-mêmes n’ont qu’à y gagner”. L’expérience onirique est digérée, voici le temps venu de la nécessaire leçon. Eluard et Vitrac : “Le rêve seul laisse à l’homme tous ses droits à la liberté”. Aragon : “Le fantastique, l’au-delà, le rêve, la survie, le paradis, l’enfer, la poésie, autant de mots pour signifier le concret”. Préférer l’éblouissant cinéma intérieur aux évidences plates du monde visible ne signifie donc pas lâcher la proie pour l’ombre. C’est au contraire travailler à l’épanouissement de la révolution libertaire, celle qui ne doit s’arrêter qu’à la perfection du bonheur. Breton met le surréalisme à son service parce qu’il pense qu’elle doit permettre le libre épanouissement du lyrisme humain. Que le rêve, pense-t-il, aide à saper les murs de la vaste prison, et au-delà de l’échappée belle il aura sa part de soleil, au monde neuf. Tel est l’espoir.

En 1932, paraît Les vases communicants. Ce livre majeur précise le propos, ramasse en quelques pages la quintessence des réflexions antérieures, propose une méthode surréaliste d’interprétation des songes. Elle est fondée sur la méthode freudienne, mais évidemment ne prend pas en compte ses implications thérapeutiques : le seul souci du poètre est de se familiariser avec le langage codé de la libido, de se régénérer dans la source bouillonnante de son être. Selon Breton, l’accomplissement de la fonction onirique emprunte clairement aux seules donné es de la vie vécue. Partant, l’étude du rêve sdoit “servir à une connaissance plus grande des aspirations fondamentales du rêveur, à l’appréciation plus juste de ses besoins immédiats, à une conscience plus nette et plus complète de sa liberté”. “Pour moi, précise Maxime Alexandre (3) le mot liberté n’a qu’un sens : la possibilité pour l’homme de réaliser ses désirs. C’est ce qui fait de moi un révolutionnaire. Le rêve, en décelant les désirs, est une arme révolutionnaire”.

“Certes, je sortirai quant à moi satisfait d’un monde où l’action n’est pas la soeur du rêve” disait Beaudelaire - déjà. Enfanter ce monde fut la préoccupation première des surréalistes. En fut-il de plus haute en notre siècle ? Oui, il en fut une, mais la quête, surhumaine, dévora les chercheurs. Au temps où Breton éveille Desnos, le dormeur impénitent, René Daumal, dans une revue éphémère et fulgurante - Le grand Jeu (4) - oppose orgueilleusement au surréalisme, cette “science amusante”, “l’étude de tous les procédés de dépersonnalisation, de transposition de conscience, de voyance, de médiumnité, la confrontation systématique du fait lyrique et du fait onirique avec les enseignements de la tradition occulte”. Roger Gilbert-Lecomte, son complice, explore au-delà du cinéma intérieur, “un univers onirique réel et commun à toutes les consciences, qui possède ses lois propres et ses drames éternels”. “Ce qui rêve quand on dort, dit-il, se meut dans ce domaine inconnu comme le corps fait dans l’espace quand on veille. Cet univers n’a pas de soleil et chaque objet s’y éclaire de sa lumière propre ; c’est le pays des métamorphoses”. Dans ce pays, ils se perdront, trop épris d’absolu, trop follement mystiques, trop mals au monde pour y survivre longtemps.
Mais l’excessive aventure du “Grand Jeu” fut nécessaire en ceci : elle permet de tracer une frontière. Au-delà d’elle furent les martyrs de la quête poétique, les “suicidés-lents”. En-deça demeurèrent les rêveurs espérants, tenus à la terre ferme par le fil tendu du merveilleux désir de vivre. Il va sans dire que cette frontière n’est pas définitivement tracée. Elle sera poussée plus loin. mais en notre siècle, non, décidément, il ne fut pas d’ambition plus haute et plus radicale que d’inviter le rêve au soleil des consciences. Il faut souhaiter qu’elle demeure pour longtemps encore, sous des masques divers, celle des vrais poètes, auprès de qui presque tout le reste est mensonge.



(1) Sarane Alexandrian - Le surréalisme et le rêve.
(2) Aragon - Une vague de rêves. Commerce, 1924.
(3) Maxime Alexandre - Mythologie personnelle - 1933.
(4) “Le grand Jeu”, réédition des Cahiers de l’Herne.

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