vendredi 2 août 2013

HENRI GOUGAUD-LES SURREALISTES ET LE REVE 3/4

 
Peinture de rue, Valencia (Espagne), décembre 2010
 
 
 
 
Mais une aventure plus éprouvante, à l’époque où paraissent leurs oeuvres, mobilise ces spéléologues de l’esprit. René Crevel, au cours de l’été 1922, s’est découvert un don de médium : un soir, chez une femme vaguement occultiste, il s’est endormi et a parlé, sans en avoir conscience. Il informe ses amis surréalistes, qui lui demandent de reproduire l’expérience en leur présence. Le 25 septembre 1922, André Breton l’accueille dans son atelier, avec Robert Desnos et Max Morise.
“Crevel, raconte Sarane Alexandrian, indique le protocole à suivre, qui est celui des réunions spirites. Mais naturellement, chez ces êtres pénétrés de convictions révolutionnaires, dédaignant de croire à l’âme, à Dieu et à l’au-delà, il n’est pas un instant question d’évoquer les morts ; il s’agit principalement de vérifier l’existence des états seconds. “On s’assied donc autour de la table et l’on éteint la lampe. Les mains posées à plat forment la chaîne, on fait silence et l’on attend. Crevel presque aussitôt s’affale, s’endort douloureusement, s’agite, tient un discours volubile traversé d’obscénités et d’images atroces. Breton veut savoir si Crevel est seul doué de parole inconsciente. 
Desnos prend le relais. Au bout d’un quart d’heure il s’endort, se réveille presque aussitôt, refuse d’admettre qu’il a un moment sommeillé.

Deux jours plus tard, nouvelle tentative. Péret, Eluard, Max Ernst, outre les précédents participants, sont présents. Desnos à nouveau s’endort, et la tête enfouie au creux de son bras, gratte de la main la table, manifestant ainsi son désir d’écrire. On glisse une feuille de papier sous sa paume, un crayon entre ses doigts. On le questionne. Il parle, il écrit, il dessine : images insondables, dessins étonnants, mots inventés. Alors dans l’atelier d’André Breton, rue Fontaine, au quatrième étage au-dessus du cabaret “Le ciel et l’enfer”, dont les employés sont déguisés en anges et en démons, une épidémie de sommeil créateur s’abat sur le groupe surréaliste. Dormir, tel est le nouveau mot d’ordre : “Nous dormirons derrière le clapotis de nos cylindres, nous dormirons les skis aux pieds, nous dormirons devant les villes fumantes, dans le sang des portes, au-dessus des déserts, nous dormirons sur le ventre de nos femmes, nous dormirons à la poursuite de la connaissance”, chante Jacques Rigaut. Et ils dorment, explorant les mystères du dedans. Crevel, Péret, Desnos s’adonnent à l’auto-hypnose, amplifient ainsi l’état normal de la création, parlent, rédigent, dessinent, pris de frénésie prophétique. “Ils sont sept ou huit, dit Aragon, (1) qui ne vivent plus que pour ces instants d’oubli où, les lumières éteintes, ils parlent sans conscience, comme des noyés en plein air”. Certains, comme Desnos, s’endorment à volonté : “Au café, dans le bruit des voix, la pleine lumière, les coudoiements, Robert Desnos n’a qu’à fermer les yeux et il parle, et au milieu des bocks, des soucoupes, tout l’océan s’écroule avec ses fracas, et ses vapeurs ornées de longues oriflammes. Que ceux qui interrogent ce dormeur formidable l’aiguillonnent à peine et tout de suite la prédiction, le ton de la magie, celui de la révélation, de la révolution, le ton du fanatique et de l’apôtre surgissent. dans d’autres conditions, Desnos, pour peu qu’il se prenne à ce délire, deviendrait le chef d’une religion, le fondateur d’une ville, le tribun d’un peuple soulevé”.
De tels sommeils pourtant ne vont point sans douleur. des crises de folie surgissent, des gouffres s’ouvrent. Un soir, chez Marie de La Hire, au terme d’une réunion vaticinante plusieurs dormeurs essaient de se pendre. Il faut brutalement les réveiller. En 1924, Desnos, resté seul rêveur militant, abandonne la trop périlleuse expérience convaincu du danger par André Breton, “l’homme-brasier”, qui avoue : “J’ai tenté de le retenir à l’instant où j’ai pu craindre que sa structure individuelle n’y résistât pas. Il m’en a voulu, mais il faut avoir été là pour savoir que c’était de très près qu’il a frôlé l’abîme”. Le temps des sommeils est révolu. Il fut important et fécond. On peut estimer que les surréalistes, en deça de quelques merveilles, y découvrirent sans le chercher le psychodrame, qui fit plus tard fortune. Mais il va sans dire qu’une différence essentielle les sépare de l’expérience thérapeutique : les patients attendent de la psychothérapie la guérison de leurs maux, alors que ces poètes cherchaient à s’inoculer une splendide maladie, la fièvre de l’imaginaire.

(1) Sarane Alexandrian - Le surréalisme et le rêve.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire