samedi 3 août 2013

JACQUES VACHE : "L'ART N'EXISTE PAS, SANS DOUTE..."

Jacques Vaché en 1914
 
 
 
 
Jacques Vaché fait preuve dès 1913 de talents littéraires. À Nantes, au Grand Lycée (aujourd'hui lycée Clemenceau), avec la collaboration de ses camarades Eugène Hublet, Pierre Bissérié et Jean Bellemère (alias Jean Sarment), il fait paraître une revue ayant pour titre En route mauvaise troupe, en hommage à Paul Verlaine qui ne connaît qu'un unique numéro. Le ton du contenu, qualifié de « subversif et pacifiste » — indépendance d'esprit, liberté de critique et haine des bourgeois, des conventions et de l'armée — lui vaut d'être exclu de l'établissement. Suivent dans le même esprit quatre numéros du Canard sauvage.

Mobilisé en août 1914, envoyé au front, puis blessé le 25 septembre 1915 à Tahure, il est rapatrié à Nantes pour y être soigné. À l'hôpital de la rue Marie-Anne du Boccage, pour passer le temps, il peint des cartes postales représentant des figures de mode accompagnées de légendes bizarres.

En janvier 1916, il fait la connaissance d'André Breton et de Théodore Fraenkel affectés comme internes en médecine. André Breton est aussitôt séduit par l'attitude de ce « jeune homme très élégant, aux cheveux roux », qui lui fait connaître Alfred Jarry, oppose à tous la « désertion à l'intérieur de soi-même » et n'obéit qu'à une loi, « l'umour (sans h) ».
« Quand Jacques Vaché vous serre la main ce n'est ni pour dire bonjour ni au revoir. » Dans un document radiophonique, la mère de Jacques Vaché, évoquant le souvenir de son fils, raconte qu'André Breton « ne saluait jamais ».
Quant à Fraenkel, Vaché le surnomme dans ses lettres « le peuple polonais » et le prend pour modèle pour sa nouvelle « Le Sanglant symbole » (personnage de Théodore Letzinski).

Au mois de juin 1916, Jacques Vaché, qui parle couramment l'anglais, est renvoyé au front comme interprète auprès des troupes britanniques. Le contact avec André Breton reprend au mois d'octobre avec une première lettre : « Je promène de ruines en villages mon monocle de cristal et une théorie de peintures inquiétantes -, j'ai successivement été un littérateur couronné, un dessinateur pornographique connu et un peintre cubiste scandaleux. »

Le 24 juin 1917, au cours d'une permission, il assiste à la première de la pièce de Guillaume Apollinaire, « Les Mamelles de Tirésias », sous-titré drame surréaliste. Le spectacle tourne au fiasco. Déguisé en officier anglais, revolver au poing, il somme de faire cesser la représentation, qu'il trouvait trop artistique à son goût, sous menace d'user de son arme contre le public. Breton parvient à le calmer. Néanmoins, dans sa biographie sur Breton, Mark Polizzotti doute de la véracité de ce fait. Il a remarqué que sur une vingtaine de comptes rendus de ce spectacle, aucun ne mentionne la "spectaculaire" réaction de Vaché. Seul Aragon a témoigné de cet incident.

Lettre du 18 août 1917 à André Breton : « L'art est une sottise - Presque rien n'est une sottise - l'art doit être une chose drôle et un peu assommante - c'est tout […] D'ailleurs - l'Art n'existe pas, sans doute - Il est donc inutile d'en chanter - pourtant : on fait de l'art - parce que c'est comme cela et non autrement - Well - que voulez-vous y faire ? »

Lettre du 19 décembre 1918, la dernière : « Je m'en rapporte à vous pour préparer les voies de ce Dieu décevant, ricaneur un peu, et terrible en tout cas. Comme ce sera drôle, voyez-vous, ce vrai ESPRIT NOUVEAU se déchaîne. »

Le 7 janvier 1919, le journal Le Télégramme des provinces de l'Ouest annonce la découverte, la veille, des corps dénudés de deux jeunes hommes, gisant sur un lit x dans une chambre de l'hôtel de France, place Graslin à Nantes. Ils auraient succombé à l'absorption d'une trop forte dose d'opium.
Un troisième homme, un soldat américain du nom d'A.K. Woynow, avait tenté de trouver du secours mais il était déjà trop tard. Les deux victimes sont présentées comme de "jeunes écervelés" sans expérience de la drogue en même temps que comme "de braves soldats qui avaient fait leur devoir devant l'ennemi et avaient été blessés". Pour préserver l'honneur des familles, il n'est fait mention que des prénoms et de l'initiale de leur nom. Un autre journal nantais, Le Populaire, précise dans son édition du 9 janvier, que l'opium avait été fourni par Vaché et cite le témoignage de son père qui dit avoir vu "un pot en faïence recouvert et ficelé" qu'il a pris pour un pot de confiture.

Ce que les journaux ne racontent pas c'est la présence dans la chambre de deux autres personnes : André Caron, membre du groupe de Nantes et un dénommé Maillocheau qui s'étaient retrouvés le 5 au soir pour fêter leur prochaine démobilisation.
Une fois dans la chambre d'hôtel, Vaché sortit un pot de faïence qui contenait de l'opium dont ils confectionnèrent des boulettes qu'ils avalèrent. Maillocheau, que la drogue n'intéressait pas, s'en alla. Plus tard, Caron, rendu malade, rentra chez lui.
À l'aube du 6, Vaché et Bonnet se déshabillèrent, plièrent soigneusement leurs vêtements, s'installèrent sur le lit et reprirent quelques boulettes d'opium.
Woynow qui avait également repris un peu d'opium s'endormit sur le divan. Quand il se réveilla le soir, il trouva ses deux camarades toujours allongés et immobiles, respirant à peine. Il courut chercher le médecin de l'hôtel.

André Breton n'apprend la mort de son ami qu'entre le 13 et le 22 janvier.
Le désarroi et le manque de précisions quant aux circonstances du décès, l'amènent à penser qu'il puisse s'agir d'un assassinat.
Dans une lettre adressée à T. Fraenkel, le 30 janvier, il insère une coupure de journal qui associe le meurtre de Jean Jaurès, le 31 juillet 1914 à celui de Karl Liebknecht, le 16 janvier 1919 ; entre ces deux dates Breton inscrit : « ? janvier 1919 : Jacques Vaché ».

 

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