dimanche 11 août 2013

ROBERTO MATTA (1911-2002)

 
 
 
Ils me dirent : « Tu es surréaliste ! Je ne savais même pas ce que cela voulait dire... »
 
 
 
 
ROBERTO MATTA 1960
 
 

 
ROBERTO MATTA ET LIGEIA BALLADARES AU CHILI EN 1960

 
 
 

 
 
 
Roberto Matta Echaurren,lequel aimait se présenter souvent comme "Roberto Sebastian Antonio Matta Echaurren", connu sous le nom de Matta, est un peintre surréaliste chilien, né le 11 novembre 1911, à Santiago du Chili, et mort à Civitavecchia (Italie), le 23 novembre 2002.
 
 
Matta commence des études d'architecture à Santiago du Chili. En 1933, il abandonne sa carrière pour s'installer en France. Il travaille un premier temps dans l'atelier de Le Corbusier puis voyage en Espagne, où il se lie avec les poètes Rafael Alberti et Federico Garcia Lorca. Il voyage également en Scandinavie, où il rencontre Alvar Aalto, et à Londres, où il fait la connaissance de Henry Moore, Roland Penrose et René Magritte.

À la demande de Salvador Dalí, il va voir André Breton qui l'adopte aussitôt.

Dans la revue surréaliste Le Minotaure, Matta écrit des textes sur l'architecture qui s'opposent au rationalisme de Le Corbusier. Une étape importante pour Matta intervient cependant durant l’été 1939 lorsque, accompagné d’Esteban Francès et de Gordon Onslow-Ford, il séjourne au château de Chemillieu. I
ls sont rejoints par André Breton et sa famille, Yves Tanguy et Kay Sage. Il semble que la présence d’Yves Tanguy soit particulièrement importante dans la formation de Matta à ce moment.

À la même époque, il peint une série de tableaux pour laquelle il expérimente une technique nouvelle : avec un chiffon, il étale la couleur sur la toile, qui, ainsi étalée, décide du tracé ultérieur du pinceau. Il se rapproche du procédé d'écriture automatique.
Il appelle cette série « Morphologies psychologiques ».
Celle-ci est marquée par des caractéristiques singulières comme de grandes taches colorées réalisées avec des chiffons, de fines lignes qui spatialisent la composition et des formes incertaines possiblement interprétables figurativement.
L’artiste va développer une œuvre à la fois originale — on reconnaît être là en face d’un Matta — et en prise avec les questions sociales et politiques de l’époque où elle est créée.

Il part à New York à la demande de Marcel Duchamp pour fuir la guerre. Six mois après son arrivée, il expose pour la première fois aux États-Unis à la galerie Julien Levy, spécialisée dans le surréalisme. Matta commence à travailler avec des pigments phosphorescents pour donner la possibilité à ses toiles de produire des images qui varieront selon la longueur d'onde de l'éclairage.

En octobre 1948, il est exclu du groupe surréaliste. Breton le soupçonne d'une liaison avec la femme du peintre Arshile Gorky, cause de son suicide. Matta retourne alors au Chili. Il publie un texte insistant sur le « rôle de l'artiste révolutionnaire, qui doit redécouvrir de nouvelles relations affectives entre les hommes. » Ensuite, il revient en Europe et s'installe en Italie.

Matta est très à l'aise dans les très grands formats ; ses toiles font souvent plusieurs mètres de long, voire 10 mètres et parfois davantage. En 1968, il réalise des environnements en couvrant les murs et les plafonds du musée d'Art moderne de la Ville de Paris avec ses toiles.
La même année, en janvier, Matta participe au premier congrès culturel de La Havane, à Cuba. En France, il prend une part active aux événements de mai.

Après le coup d'État du général Pinochet au Chili du 11 septembre 1973, il coupe tout lien avec son pays natal :
« C'est cet exil qui a déterminé toute ma vie, entre deux cultures. Mon travail est un travail de séparation. [...] De l'exil, je suis passé à l'"Ex-il", quelque part entre le connu et l'inconnu, entre la réalité et l'imaginaire. Là où commence la poésie. »




"La vie de Matta fut riche de rencontres multiples ; les personnalités, déjà célèbres, croisées exerceront des influences sur son art. Mais, très tôt, de nombreux autres artistes, notamment des figures importantes de l’abstraction américaine comme Pollock, Motherwell, Baziotes, trouvèrent dans sa peinture des justifications à leurs propres aspirations. L’homme était d’un charisme certain, ses engagements pour des causes politiques justes et sincères, il a mis durant sa vie en accord ses actes et ses convictions. À l’instar d’un Picasso il est parvenu, tout en continuant des recherches plastiques, à inscrire dans son art ses engagements politiques. Matta manifesta par son art son opposition à la guerre, aux répressions, aux multiples barbaries de la société qui lui était contemporaine. Des œuvres comme Les puissances du désordre, 1964, et La Question, 1962 sont respectivement des dénonciations du régime espagnol de Franco et de la torture française en Algérie. Il séjourna très peu dans son pays natal le Chili ; il y travailla seulement entre 1971 et 1973. Chassé par la dictature de Pinochet, il choisit à nouveau l’exil, situation qu’il qualifiait par la forme écrite paradoxale d’« Ex-il » .
Par delà la personnalité de l’homme ce sont les singularités de ses œuvres elles-mêmes qui ont marqué autant les artistes de sa génération que les plus jeunes. La plupart des textes critiques trouvent tellement de matière à écrire à partir de la biographie de cet artiste qu’ils s’en contentent, omettant d’analyser les qualités artistiques de ses peintures.
La formation initiale de Roberto Matta comme architecte se retrouve dans l’organisation spatiale de ses tableaux. Il connaît les possibilités qu’offre l’emploi des fuyantes pour créer l’illusion d’une profondeur en arrière du plan du tableau. En s’en servant en tous sens, sans focalisation unique, il se montre habile à pervertir le système de représentation issu de la Renaissance. Contrairement à de nombreux artistes qui, à la suite du cubisme et notamment, de l’invention des papiers collés, tendront à réduire la profondeur de l’espace pictural, Matta, comme d’autres surréalistes (Dali, Tanguy, Chirico), choisit d’en jouer. Dans ses tableaux comme Les Puissances du désordre, 1964-1965, dont le sujet a été évoqué plus haut, sont associées des effets de profondeur différents, se mêlent des perspectives euclidiennes, des échelonnements profonds par figures superposées, des transparences partielles, etc.
Chez lui l’espace représenté est doté d’une profondeur physique et psychique. Les lignes perspectives servent à construire l’espace des tableaux et en plus elles constituent de multiples appels aux regardeurs : Matta, l’appelant, demande aux regardeurs appelés de plonger les yeux en premier dans les mouvements de sa peinture. Cet appel à une descente dans l’œuvre est aussi la promesse d’une montée vers quelque septième ciel non figuré. On entre dans le rêve sans spiritualités métaphysiques : les mondes évoqués s’éloignent de ceux visibles par l’homme. Pourtant, dans leur fiction, ils restent proches du réel des sciences : physique, chimie, astronomie. Les flux et les fluides circulent entre les machineries interstellaires. Devant certains tableaux on a l’impression d’être devant des vignettes énormément agrandies de bandes dessinées futuristes. Mais cette différence de dimension est précisément de taille puisqu’elle inverse le rapport corporel du visiteur à l’image.
Une des caractéristiques des créations de Roberto Matta est la mise en place d’environnements monumentaux : de très grandes peintures sur toiles recouvrent les murs (et parfois le plafond) des lieux d’expositions, donnant aux visiteurs un sentiment d’humilité. De tableau en tableau le regard du spectateur se laisse embarquer pour de nouveaux voyages aux esthétiques différenciées. L’œil plonge ; les couleurs, les valeurs, les lignes l’accompagnent, le perdent un peu, avant de le faire remonter à la surface. Dans ce monde de conflits, de machinations multiples, le mouvement dominant reste ascendant. Entrer dans le tableau, c’est déjà en accepter l’énergie. Par delà ce qui est tracé, représenté, mis en couleurs, il y a un emportement, un mouvement d’expansion dans les quatre directions de l’espace. De pseudo objets en pseudo espace, l’œil dérive et le constat de cet emportement moins d’en arrêter l’aspiration, favorise l’émotion. Les lignes simples ou doubles sont des flèches pour l’agitation de nos sens (en tous sens).
Devant une œuvre comme L’impensable 1958, impossible d’arrêter le regard ; le fond est lui-même instable. Le regard essaye de s’accrocher aux figures plus ou moins figuratives, permettant des interprétations. Pourtant les vides, les transparences, même les tracés spatialisés, empêchent les arrêts. Cela fuse de partout ; il est impossible de décider d’une hiérarchie en dehors du motif central avec ses couleurs bleu, jaune et rouge. On sent bien que cette peinture s’est inventée dans l’action. Elle relance sans cesse le regard, elle ne tranquillise pas.
Tout l’art de Roberto Matta est dans la maîtrise pour chaque tableau d’une multitude d’événements plastiques constituant autant de lieux dont la formation repose sur l’inattendu qu’a parfaitement favorisé le recours à l’automatisme surréaliste. Dans le Manifeste du Surréalisme André Breton donne comme définition de celui-ci : « Surréalisme n. m. Automatisme physique pur par lequel on se propose d’exprimer (...) le fonctionnement réel de la pensée à travers l’agitation organique qu’elle communique au corps … ». On entend que Roberto Matta entre parfaitement dans cette définition. Il fut très vite adopté et reconnu par ses pairs et s’il fut plus tard exclu du mouvement ce ne fut pas pour des causes esthétiques mais pour des raisons morales . L’art de cet artiste ne tombe jamais dans l’imagerie onirique. Les emportements générés par les œuvres touchent autant les esprits que les corps.
Chez lui il y a toujours ambiguïté entre la maîtrise des moyens mis en œuvre et l’emportement psychique de l’auteur, entre le savoir-faire et l’improvisation. La complexité de ses créations permet de concilier tous les antagonismes supposés. Il y a une volonté d’inventer un espace autre, un espace au-delà de l’espace réaliste comme de l’espace cubiste. On apprécie le jeu constant entre maîtrise et hasard, entre les pleins et les vides, l’ordre et le désordre. La métamorphose de l’espace réclame aussi une mutation des titres des tableaux. L’automatisme graphique appelle une envolée de la langue sous la dictée de la pensée visuelle. Une ligne des mots, plus suggestive que descriptive, se doit d’accompagner les multiples tracés comme Être hommonde,1960 (triptyque 200 x 800 cm). L’explication se trouve dans un texte de l’auteur, partiellement reproduit à côté du cartel dans l’exposition de Marseille : « Je doute que ce soit par l’œil qu’on peut “voir”, mais depuis toujours s’applique à cette technique qu’on appelle la peinture qui est sensée nous donner le sentiment d’être uni, d’être hommonde. »
On est obligé de s’arrêter sur cette phrase qui résume toute la générosité de l’artiste, toute sa profonde culture de l’art et qui démontre, encore si besoin est, sa singulière capacité à inventer autant des images qui font rêver que des mots tout à la fois poétiques et signifiants."
 
 Jean-Claude LE GOUIC
présentation de l'exposition Matta au musée Cantini (Marseille printemps 2013)


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