vendredi 2 août 2013

HENRI GOUGAUD-LES SURREALISTES ET LE REVE 1/4

 
LAURENT CASTIAU-LE REVE
 
 
“L’homme qui ne peut pas voir un cheval galopant sur une tomate est un idiot”. L’homme qui ne sait pas quitter sa raison comme un guerrier sa cuirasse en s’écriant: ” Tonnerre de dieu! Mais je suis une fleur !” est un prisonnier perpétuel amoureux d’un chien de garde. L’homme qui ne rêve pas est un huissier malodorant: il manifeste un goût maniaque de la vie en ce qu’elle a de plus moche et tape singulièrement, sachez-le, sur le système d’André Breton. Car autant le dire dès l’abord: le rêve est l’arme tranche-contraintes, le bulldozer libérateur, l’acide qui dissout les masques. Qui n’apprend point à le manier se condamne à vivre bardé de murailles. Il ne saurait donc, en aucune manière, mériter le nom de surréaliste. ne pas confondre: aux yeux de l’explorateur impitoyable, le rêve n’est ni rêverie romantique ni paysage incohérent sur l’océan du sommeil mais bien plutôt somnambulisme, extase, déshabillage de l’inconscient.
 
L’inconscient est aujourd’hui un continent sinon colonisé, au moins découvert. Qui fouille un peu ses propres tréfonds est maintenant accoutumé aux peuples fantasmagoriques, aux paysages mouvants, aux trompe-l’oeil, aux symboles du rêve. Mais au temps où Breton met le feu aux poussières de l’art, Freud commence à peine à déchiffrer les machineries de la nuit. Les paroles de l’un, les lumières de l’autre sont parfaitement incomprises et proprement scandaleuses. Ces hommes pourtant -presque personne ne le sait alors- commencent l’une des révolutions culturelles les plus profondes de notre civilisation.
Tout comence en 1916. André Breton a vingt ans, il est médecin assistant au Centre psychiâtrique de la deuxième armée, à Saint-Dizier. Pratiquant, donc, ce que l’on appelait alors “la psychiâtrie de guerre”, il a l’occasion d’éprouver la technique des associations libres. Aussitôt il pressent des trésors, dans les brumes au-delà de la conscience claire. Au cours d’une permission à Paris il informe Apollinaire, Valéry, Gide. Il ne les convainc pas. En 1919, il fonde, avec Tristan Tzara, la revue “Littérature”. Voici Dada. Dada ne crée pas, il manifeste. Il ne se préoccupe point de rêve, il est le rêve ravageur. Séance dadaïste: Eluard évolue, déguisé en danseuse, Aragon accomplit des tours de prestidigitation, Ribemont-Dessaignes danse “Le pas de la chicorée frisée”, Breton les contemple, impassible, un révolver attaché à chaque tempe. “O bouches, l’homme est à le recherche d’un nouveau langage, auquel le grammairien d’aucune langue n’aura rien à dire”. Apollinaire a dit ces paroles, que Dada illustre.
Mais ce mouvement-vitriol, s’il ne s’affadit point, vieillit vite. En 1922, l’énorme NON hurlé par Tzara devant la citadelle bourgeoise n’a pas eu l’effet des trompettes de Jericho. Le monde, imperturbable, tourne encore, ses failles sont colmatées, de nouvelles idées naissent, les découvertes de la science, de la psychologie surtout mettent en question les notions traditionnelles fondées sur la logique et le déterminisme. En 1919, seuls quelques fragments de Freud ont été publiés en français, mais Breton les a lus. Il va voir l’illustre psychiâtre, à Vienne, en 1921. Il n’est encore qu’un jeune poète sans notoriété, on l’éconduit aimablement. Sa déception est cruelle. Qu’importe, le nouveau monde entrevu n’en est pas moins exaltant. Les gens - les spectateurs impénitents - n’attendent plus des dadaïstes que des pitreries divertissantes. Breton s’insurge: “Ils voudraient nous voir le talent des Fratellini”. Or, la partie qui se joue, désormais, engage l’avenir. Tzara, ordinairement plus lucide, estime que Freud est un personnage négligeable: “Il a bâti son mystère, dit-il, sur une espèce d’idéal bourgeois”. Breton persiste à croire que la clé de la poésie est enfouie dans les abîmes de l’être. La rupture, inévitable, est consommée en 1922, année où paraît en France la “Psychopathologie de la vie quotidienne”. André Breton, Paul Eluard, Aragon et Benjamin Péret fondent le surréalisme.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire