vendredi 2 août 2013

HENRI GOUGAUD-LES SURREALISTES ET LE REVE 2/4

 
ODILON RODON-ARAIGNEE SOURIANTE 1881


Leur ambition n’est pas d’édifier, sur les ruines de l’art occidental, une nouvelle esthétique. Le surréalisme ne sera pas une école mais une méthode, un moyen de connaissance, un outil spirituel furieusement aiguisé. Il abattra le décor logique, révèlera son envers - un continent: le merveilleux, le rêve, la folie, l’hallucination, l’hystérie (”La plus grande découverte poétique de la fin du XIXème siècle”) seront arrachés à l’enfer, révélés, explorés, fouillés, magnifiés. Au terme de la quête profonde, l’esprit ne vivra plus seulement de raison. L’homme, enfin maître de soi jusqu’au tréfonds - gouverneur de ses sources - inventera un monde neuf.

En 1922, ainsi est énoncé le projet surréaliste. Il est clair que l’on ne va pas superficiellement jouer avec le rêve, chercher en lui de quoi raviver sans douleur l’image poétique. On va explorer ses labyrinthes, au risque de s’y perdre, on va tenter d’en découvrir les véritables limites, trop indécises à travers la lunette littéraire, trop sommairement tracées par la psychologie. Le groupe “Littérature”, sous l’impulsion de Breton, décide d’en systématiser l’étude. Dès lors, les surréalistes vont rêver jusqu’à la presque mort, et mener au jour quelques unes des oeuvres majeures de notre temps.

Les oeuvres, d’abord. En 1919, dans une lettre à Tzara, Breton lui confie: “J’écris peu en ce moment, mûrissant un projet qui doit bouleverser plusieurs mondes. Ne croyez pas à un enfantillage ou à une idée délirante. Mais la préparation du Coup d’Etat peut demander quelques années. Je brûle d’envie de vous mettre au courant mais je ne vous connais tout de même pas assez”. “Ce projet s’annonçant mystérieusement comme une conspiration, commente Sarane Alexandrian, (1) c’est celui de rédiger un ouvrage tout entier en écriture automatique. Breton se montre bon prophète en pressentant qu’il va “bouleverser plusieurs mondes” (les mondes de la poésie, de l’art, de l’éthique en subiront notamment la secousse) et qu’il faudra des années pour lui assurer sa véritable portée”.
Comment ce chasseur à l’affût a-t-il débusqué son idée ? Ainsi: un soir, entre veille et sommeil, une phrase dénuée de sens précis entre seule dans sa conscience. Il entend, derrière ses yeux: “Il y a un homme coupé en deux par la fenêtre”. Il écoute la voix intérieure. L’étrange phrase en conduit d’autres, un troupeau de mots afflue, le submerge. Il se lève, hâtivement, pour ne point les perdre, il veut les inscrire sur quelque feuille. Il ne peut. Le fulgurant discours, à peine formulé, s’est dissout. Mais une conviction demeure: il y a là, sous la conscience, un flot d’images qui ne demandent qu’à jaillir au grand jour. Elles s’effacent aussitôt entrevues, comme s’évaporent les rêves. Il faut donc inventer un moyen capable de les capter à volonté, et de les fixer sans faute. Alors Breton se souvient des expériences de Saint-Dizier. Il se persuade que l’écriture automatique est seule capable de “faire entrer la source”, comme il dit. S’il ne se trompe point, il exprimera ainsi non point à proprement parler l’inconscient “mais un élément fluide, mouvant et pur, générateur de la pensée et du langage”, il permettra que s’épanche “un réservoir inépuisable d’images, un flux intérieur d’expressions non contaminé par la nécessité du sens”. (1) Mieux: à ses semblables il offrira un inestimable trésor, en prouvant que chacun est poète sans le savoir, et qu’il suffit, pour l’être vraiment, d’aller chercher au nid les mots. Enfin il montrera combien l’homme raisonnant est étranger à lui-même, ignorant ses tréfonds. Avec Philippe Soupault, il écrit alors “Les champs magnétiques”.
L’ouvrage paraît en 1921. Aussitôt d’autres suivent. Robert Desnos et Benjamin Péret publient “L’enfant planète”, Paul Eluard et Max Ernst “Le malheur des immortels”. Toutes ces oeuvres passent d’abord inaperçues. Leurs auteurs sans doute vont trop vite, et trop loin. ils ne sont pas compris. En fait leur travail n’est ni spirituel, ni littéraire: ils s’entraînent, sportifs psychiques, à déshabiller leur cervelle. Ils se cherchent dans une forêt de songes, et quand ils se trouvent, ils sont d’une rare beauté.
(1) Sarane Alexandrian - Le surréalisme et le rêve.

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