Né le 9 janvier 1954 à New York et grandi dans le New Jersey, Todd Schorr dessine de façon compulsive dès son plus jeune âge : il a à peine cinq ans quand ses parents l’inscrivent dans un atelier d'expression artistique. Après des études au Philadelphia College of Art, il s’installe à New York en 1976, où il participe à des projets très divers : pochettes d'albums pour AC/DC, affiches de films pour George Lucas et Francis Ford Coppola, ou encore couvertures pour le magazine Time. En 1985, lassé de devoir restreindre sa créativité au profit des impératifs commerciaux, il s’emploie à faire passer son travail des halls des agences de publicité aux murs des galeries d'art. Stimulé par le succès de sa première exposition solo à la galerie Tamara Bane, Todd Schorr rompt tous ses liens avec l'illustration en 1992, pour se consacrer à plein temps à la peinture. Installé depuis 1998 à Los Angeles avec sa femme Kathy Staico, il jouit désormais d'une clientèle fidèle d'amateurs et de collectionneurs à travers le globe.
Pionnier du mouvement Pop Surréaliste à l’imagination foisonnante, Todd Schorr restitue les dessins-animés, comic-books et récits de science-fiction de son enfance dans des toiles fascinantes, à l’exécution digne des grands maîtres d’antan. Propos recueillis par Damien Grimbert
Pouvez-vous me dire quelques mots de votre background culturel ? Je suis né à New York en 1954, mais j’ai grandi à Oakland dans le New Jersey, dans un environnement typique de la classe moyenne suburbaine américaine. Mes parents m’ont toujours encouragé dans mes diverses activités, tant qu’elles ne devenaient pas obsessionnelles, ce qui finissait toujours par être le cas. Même si nous habitions en banlieue résidentielle, il y avait plein de forêts, de cours d’eau et d’étangs à explorer. Les vacances en famille étaient consacrées au camping dans différents parcs régionaux le long de la Côte Est, et se transformaient toujours en grandes aventures avec des ours qui saccageaient notre campement, ou des coups de foudre qui mettaient le feu aux arbres.
Quels étaient vos univers fictionnels préférés quand vous étiez enfant ?
Très jeune, ceux de Lewis Carroll et du Dr Seuss, et un peu plus tard, ceux d’Edgar Rice Burroughs, Robert E. Howard et H.P. Lovecraft.
Ayant grandi après la guerre, dans l’Amérique des années 50, j’ai aussi fait partie de la première génération d’enfants lourdement influencée par la télévision. Du coup, tous les premiers dessins animés, les cow-boys, les monstres, la science-fiction, et les spectacles de marionnettes de cette période ont eu un énorme influence sur mon vocabulaire visuel.
J’ai ensuite découvert le magazine Mad et ma perception visuelle du monde a changé à jamais. La plupart des références à la Pop culture dans mon travail viennent de ces souvenirs d’enfance. Enfin, en termes d’artistes individuels, Salvador Dali a eu un impact immense sur moi très tôt dans la vie. Quand j’avais onze ans, en 1965, mes parents nous ont emmenés ma sœur et moi à une rétrospective de Dali, dans une galerie d’art moderne new-yorkaise. Pour la première fois, j’ai pris conscience du type de magie et de puissance qu’un être humain à l’imagination débridée pouvait réussir à créer.
Quel rôle a joué le mouvement psychédélique dans votre travail ?
La période psychédélique des années 60 a eu une grande importance pour moi. Déjà, tu avais tous ces artistes incroyables venus de San Francisco qui faisaient des posters, comme Rick Griffin, Victor Moscoso, Stanley Mouse et Alton Kelley. Ils combinaient dans leurs travaux un ensemble d’images très éclectiques, issues pour la plupart des débuts de la Pop Culture américaine. Juste après les posters rock, sont arrivés les artistes de Zap, qui ont littéralement explosé les limites de tout ce qu’il était possible de faire dans le format bande dessinée. Robert Crumb et Robert Williams avaient une influence importante à l’époque, et continuent d’être de riches sources d’inspiration. Il faut bien comprendre que depuis le début, le monde des beaux-arts, du haut de sa tour d’ivoire, regardait les styles cartoon et comic book avec condescendance. Le fait qu’un mouvement artistique comme le Lowbrow ou le Pop Surréalisme, dont les fondations mêmes reposent sur le style cartoon, ait pu aller aussi loin constitue vraiment une performance remarquable. L’œuvre des premiers surréalistes était dans une certaine mesure imprégnée de style cartoon, et les artistes du Pop Art l’employaient de façon ironique, mais avec l'avènement des artistes qui réalisaient les posters psychédéliques, les origines cartoon étaient claires, et complètement assumées. Ça a été une étape décisive dans l’acceptation de la peinture influencée par le cartoon telle qu’elle existe aujourd’hui.
Vous êtes l’un des premiers artistes à avoir associé cet univers « cartoon » à des techniques classiques de peinture figurative. Quel a été le déclic ?
En 1970, j’ai eu l’opportunité de voyager en Europe pendant l’été, et c’est au cours de ce voyage qu’a eu lieu la première étincelle. J’étais au lycée à l’époque, et je réalisais des œuvres fortement influencées par les premiers dessins animés de Walt Disney et de Max Fleischer pendant les années 1930. En parallèle, je prenais des leçons auprès d’un type qui restaurait des peintures anciennes. Il m’a fait découvrir le travail des Grands Maîtres, et du coup, lorsque je suis parti pour l’Europe, j’ai mis un point d’honneur à visiter autant de grands musées européens que possible, pour pouvoir examiner moi-même tous ces grands tableaux. Alors que je me promenais dans les couloirs de la Galerie des Offices à Florence, j’ai commencé à me demander si je ne pourrais pas apprendre les techniques de peinture de ces Grands Maîtres, et les appliquer à mes sujets de prédilection, inspirés par les dessins animés. Cette idée allait mettre près de vingt ans avant d’arriver à maturité.
Combien de temps passez-vous en moyenne sur une œuvre ?
Cela dépend vraiment de la taille et de la complexité de la composition. Par exemple, le tableau A Pirates Treasure Dream, une œuvre d’environ 1m80 sur 2m10, extrêmement dense visuellement, m’a demandé environ neuf mois de travail. Et je parle juste du temps passé concrètement à peindre. Il faut compter au moins un mois pour la préparation, les dessins, les éventuelles études de couleur… avant que je commence à peindre. Le tableau sur lequel j’ai passé le plus de temps est sans doute Ape Worship, une grande pièce sur laquelle j’ai passé un peu plus d’un an avant d’en venir à bout.
Comment définiriez-vous les principaux thèmes autour desquels votre travail s’articule ?
En prenant de l’âge, je suis de plus en plus fasciné de voir à quel point notre société est à la fois moderne et primitive. Nous sommes dans une société qui a fait d’innombrables avancées scientifiques et technologiques remarquables, mais qui en même temps peut replonger dans la barbarie la plus profonde au nom des superstitions religieuses. Tout en essayant de me tenir à distance du rôle de donneur de leçons, j’ai tenté d’aborder certains de ces sujets, tout particulièrement dans plusieurs de mes dernières oeuvres
Pour terminer, comment la vision que vous portez sur votre travail évolue t-elle avec les années ?
La technique picturale fait vraiment partie de ces activités dans lesquelles plus tu pratiques, plus tu deviens bon. Donc techniquement parlant, j’ai l’impression que, avec les années, mon travail est de plus en plus accompli. Cela dit, il y a une chose qui est plus importante qu’affûter ta technique, c’est l’idée derrière le tableau. Toutes mes peintures sont basées sur un concept, et j’ai l’impression que si mon travail a évolué en termes de technique, j’ai consacré encore plus de temps et d’énergie à développer dans mes peintures des concepts qui soient plus forts, plus focalisés, et je l’espère, plus puissants que mes précédentes tentatives dans ce domaine. C’est bien entendu l’ambition de tout artiste digne de ce nom que de développer constamment son art, et de se mettre au défi d’atteindre un niveau d’accomplissement toujours plus haut. Je m’identifie tout à fait à Salvador Dali lorsqu’il déclarait vouloir être capable de peindre avec l’expertise d’un Meissonier, mais d’utiliser comme thèmes tout ce que la science et la société modernes avaient à offrir.
Quels étaient vos univers fictionnels préférés quand vous étiez enfant ?
Très jeune, ceux de Lewis Carroll et du Dr Seuss, et un peu plus tard, ceux d’Edgar Rice Burroughs, Robert E. Howard et H.P. Lovecraft.
Ayant grandi après la guerre, dans l’Amérique des années 50, j’ai aussi fait partie de la première génération d’enfants lourdement influencée par la télévision. Du coup, tous les premiers dessins animés, les cow-boys, les monstres, la science-fiction, et les spectacles de marionnettes de cette période ont eu un énorme influence sur mon vocabulaire visuel.
J’ai ensuite découvert le magazine Mad et ma perception visuelle du monde a changé à jamais. La plupart des références à la Pop culture dans mon travail viennent de ces souvenirs d’enfance. Enfin, en termes d’artistes individuels, Salvador Dali a eu un impact immense sur moi très tôt dans la vie. Quand j’avais onze ans, en 1965, mes parents nous ont emmenés ma sœur et moi à une rétrospective de Dali, dans une galerie d’art moderne new-yorkaise. Pour la première fois, j’ai pris conscience du type de magie et de puissance qu’un être humain à l’imagination débridée pouvait réussir à créer.
Quel rôle a joué le mouvement psychédélique dans votre travail ?
La période psychédélique des années 60 a eu une grande importance pour moi. Déjà, tu avais tous ces artistes incroyables venus de San Francisco qui faisaient des posters, comme Rick Griffin, Victor Moscoso, Stanley Mouse et Alton Kelley. Ils combinaient dans leurs travaux un ensemble d’images très éclectiques, issues pour la plupart des débuts de la Pop Culture américaine. Juste après les posters rock, sont arrivés les artistes de Zap, qui ont littéralement explosé les limites de tout ce qu’il était possible de faire dans le format bande dessinée. Robert Crumb et Robert Williams avaient une influence importante à l’époque, et continuent d’être de riches sources d’inspiration. Il faut bien comprendre que depuis le début, le monde des beaux-arts, du haut de sa tour d’ivoire, regardait les styles cartoon et comic book avec condescendance. Le fait qu’un mouvement artistique comme le Lowbrow ou le Pop Surréalisme, dont les fondations mêmes reposent sur le style cartoon, ait pu aller aussi loin constitue vraiment une performance remarquable. L’œuvre des premiers surréalistes était dans une certaine mesure imprégnée de style cartoon, et les artistes du Pop Art l’employaient de façon ironique, mais avec l'avènement des artistes qui réalisaient les posters psychédéliques, les origines cartoon étaient claires, et complètement assumées. Ça a été une étape décisive dans l’acceptation de la peinture influencée par le cartoon telle qu’elle existe aujourd’hui.
Vous êtes l’un des premiers artistes à avoir associé cet univers « cartoon » à des techniques classiques de peinture figurative. Quel a été le déclic ?
En 1970, j’ai eu l’opportunité de voyager en Europe pendant l’été, et c’est au cours de ce voyage qu’a eu lieu la première étincelle. J’étais au lycée à l’époque, et je réalisais des œuvres fortement influencées par les premiers dessins animés de Walt Disney et de Max Fleischer pendant les années 1930. En parallèle, je prenais des leçons auprès d’un type qui restaurait des peintures anciennes. Il m’a fait découvrir le travail des Grands Maîtres, et du coup, lorsque je suis parti pour l’Europe, j’ai mis un point d’honneur à visiter autant de grands musées européens que possible, pour pouvoir examiner moi-même tous ces grands tableaux. Alors que je me promenais dans les couloirs de la Galerie des Offices à Florence, j’ai commencé à me demander si je ne pourrais pas apprendre les techniques de peinture de ces Grands Maîtres, et les appliquer à mes sujets de prédilection, inspirés par les dessins animés. Cette idée allait mettre près de vingt ans avant d’arriver à maturité.
Combien de temps passez-vous en moyenne sur une œuvre ?
Cela dépend vraiment de la taille et de la complexité de la composition. Par exemple, le tableau A Pirates Treasure Dream, une œuvre d’environ 1m80 sur 2m10, extrêmement dense visuellement, m’a demandé environ neuf mois de travail. Et je parle juste du temps passé concrètement à peindre. Il faut compter au moins un mois pour la préparation, les dessins, les éventuelles études de couleur… avant que je commence à peindre. Le tableau sur lequel j’ai passé le plus de temps est sans doute Ape Worship, une grande pièce sur laquelle j’ai passé un peu plus d’un an avant d’en venir à bout.
Comment définiriez-vous les principaux thèmes autour desquels votre travail s’articule ?
En prenant de l’âge, je suis de plus en plus fasciné de voir à quel point notre société est à la fois moderne et primitive. Nous sommes dans une société qui a fait d’innombrables avancées scientifiques et technologiques remarquables, mais qui en même temps peut replonger dans la barbarie la plus profonde au nom des superstitions religieuses. Tout en essayant de me tenir à distance du rôle de donneur de leçons, j’ai tenté d’aborder certains de ces sujets, tout particulièrement dans plusieurs de mes dernières oeuvres
Pour terminer, comment la vision que vous portez sur votre travail évolue t-elle avec les années ?
La technique picturale fait vraiment partie de ces activités dans lesquelles plus tu pratiques, plus tu deviens bon. Donc techniquement parlant, j’ai l’impression que, avec les années, mon travail est de plus en plus accompli. Cela dit, il y a une chose qui est plus importante qu’affûter ta technique, c’est l’idée derrière le tableau. Toutes mes peintures sont basées sur un concept, et j’ai l’impression que si mon travail a évolué en termes de technique, j’ai consacré encore plus de temps et d’énergie à développer dans mes peintures des concepts qui soient plus forts, plus focalisés, et je l’espère, plus puissants que mes précédentes tentatives dans ce domaine. C’est bien entendu l’ambition de tout artiste digne de ce nom que de développer constamment son art, et de se mettre au défi d’atteindre un niveau d’accomplissement toujours plus haut. Je m’identifie tout à fait à Salvador Dali lorsqu’il déclarait vouloir être capable de peindre avec l’expertise d’un Meissonier, mais d’utiliser comme thèmes tout ce que la science et la société modernes avaient à offrir.
PETIT-BULLETIN.FR 27 JANVIER 2012
TODD SCHORR-THE MONKEY'S UNCLE 2005
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