ANDRE BRETON |
Les NUITS d’Young sont surréalistes d’un bout à l’autre ; c’est malheureusement un prêtre qui parle, un mauvais prêtre, sans doute, mais un prêtre.
Swift est surréaliste dans la méchanceté.
Sade est surréaliste dans le sadisme.
Chateaubriand est surréaliste dans l’exotisme.
Constant est surréaliste en politique.
Hugo est surréaliste quand il n’est pas bête.
Desbordes-Valmore est surréaliste en amour.
Bertrand est surréaliste dans le passé.
Rabbe est surréaliste dans la mort.
Poe est surréaliste dans l’aventure.
Baudelaire est surréaliste dans la morale.
Rimbaud est surréaliste dans la pratique de la vie et ailleurs.
Mallarmé est surréaliste dans la confidence.
Jarry est surréaliste dans l’absinthe.
Nouveau est surréaliste dans le baiser.
Saint-Pol-Roux est surréaliste dans le symbole.
Fargue est surréaliste dans l’atmosphère.
Vaché est surréaliste en moi.
Reverdy est surréaliste chez lui.
Saint-John Perse est surréaliste à distance.
Roussel est surréaliste dans l’anecdote.
Etc.
J’y insiste, ils ne sont pas toujours surréalistes, en ce sens que je démêle chez chacun d’eux un certain nombre d’idées préconçues auxquelles — très naïvement ! — ils tenaient. Ils y tenaient parce qu’ils n’avaient pas entendu la voix surréaliste, celle qui continue à prêcher à la veille de la mort et au-dessus des orages, parce qu’ils ne voulaient pas servir seulement à orchestrer la merveilleuse partition. C’étaient des instruments trop fiers, c’est pourquoi ils n’ont pas toujours rendu un son harmonieux.
Mais nous, qui ne nous sommes livrés à aucun travail de filtration, qui nous sommes faits dans nos œuvres les sourds réceptacles de tant d’échos, les modestes appareils enregistreurs qui ne s’hypnotisent pas sur le dessin qu’ils tracent nous servons peut-être encore une plus noble cause. Aussi rendons-nous avec probité le « talent » qu’on nous prête. Parlez-moi du talent de ce mètre en platine, de ce miroir, de cette porte, et du ciel si vous voulez.
Nous n’avons pas de talent, demandez à Philippe Soupault :
Les manufactures anatomiques et les habitations à bon marché détruiront les villes les plus hautes.
À Roger Vitrac :
À peine avais-je invoqué-le marbre-amiral que celui-ci tourna sur ses talons comme un cheval qui se cabre devant l’étoile polaire et me désigna dans le plan de son bicorne une région où je devais passer ma vie.
À Paul Éluard :
C’est une histoire connue que je conte, c’est un poème célèbre que je relis : je suis appuyé contre un mur, avec des oreilles verdoyantes et des lèvres calcinées.
À Max Morise :
L’ours des cavernes et son compagnon le butor, le vol-au-vent et son valet le vent, le grand Chancelier avec sa chancelière, l’épouvantail à moineaux et son compère le moineau, l’éprouvette et sa fille l’aiguille, le carnassier et son frère le carnaval, le balayeur et son monocle, le Mississippi et son petit chien, le corail et son pot-au-lait, le Miracle et son bon Dieu n’ont plus qu’à disparaître de la surface de la mer.
À Joseph Delteil :
Hélas ! je crois à la vertu des oiseaux. Et il suffit d’une plume pour me faire mourir de rire.
À Louis Aragon :
Pendant une interruption de la partie, tandis que les joueurs se réunissaient autour d’un bol de punch flambant, je demandai à l’arbre s’il avait toujours son ruban rouge.
Et à moi-même, qui n’ai pu m’empêcher d’écrire les lignes serpentines, affolantes, de cette préface.
Demandez à Robert Desnos, celui d’entre nous qui, peut-être, s’est le plus approché de la vérité surréaliste, celui qui, dans des œuvres encore inédites et le long des multiples expériences auxquelles il s’est prêté, a justifié pleinement l’espoir que je plaçais dans le surréalisme et me somme encore d’en attendre beaucoup. Aujourd’hui Desnos parle surréaliste à volonté. La prodigieuse agilité qu’il met à suivre oralement sa pensée nous vaut autant qu’il nous plaît de discours splendides et qui se perdent, Desnos ayant mieux à faire qu’à les fixer. Il lit en lui à livre ouvert et ne fait rien pour retenir les feuillets qui s’envolent au vent de sa vie.
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