En 1929, Max Ernst, artiste surréaliste, publie un roman-collage, le premier d'une série. Ce n'est pas une vraie bande dessinée mais une sorte d'histoire en images. Pour réaliser ces images, il choisit des fragments de gravures sur bois provenant de magazines, d'encyclopédies et de romans insignifiants du dix-neuvième siècle. Certains collages forment une parodie de certaines œuvres d'art célèbres. Les combinaisons inédites de matériel scientifique avec des personnages qui planent, et de paysages aux décors surprenants, donne à voir un monde onirique et bizarre qui est devenu l'image de marque du surréalisme. Dans l'introduction du livre, on fait l'éloge de ces scènes. On le considère comme 'le livre d'images idéal de cette époque', qui nous dévoilerait l'avenir qui nous attend. 'Des yeux d'enfants, grands et étonnés, s'ouvrent comme des ailes de papillon sur les rives du lac'. Selon l'introduction, il n'y avait plus qu'à attendre que surgisse 'la première centaine de visions féeriques'. Ces mots à tendance prophétique sont d'André Breton, fondateur du surréalisme.
Breton avait invité Max Ernst en 1921 à faire une exposition à Paris dans la Galerie Au Sans Pareil. C'était sa première exposition en solo. Ernst (né à Cologne) avait exposé auparavant dans les milieux expressionnistes et dadaïstes allemands. Il est peintre mais il est également critique d'art. En 1922, il quitte son pays d'origine et part pour Paris. En 1941, il fuit la Gestapo et s'installe en Amérique, où il avait déjà régulièrement exposé son travail depuis 1932. Il devient citoyen américain mais revient à Paris en 1953. Il déménagera plus tard vers le sud de la France et il se fait naturaliser français. Comme peintre, il est devenu célèbre dans le monde entier.
Des élements héteroclites
Dans les collages, Ernst réunit des éléments hétéroclites, qui ne forment pas un ensemble logique. En fait, grâce à la technique du collage, ils sont en quelque sorte 'démocratisés', aucun des éléments n'y joue un rôle principal. Il n'y a pas de lien ni de hiérarchie. Peut-être qu'un des éléments ressort plus qu'un autre, se trouve plus au centre de l'image, mais la différence entre le principal et le secondaire est supprimée; c'est au lecteur d'établir une hiérarchie. Ernst a fait le choix des éléments. Par ailleurs, il voulait camoufler le sens de la gravure originale. C'est pour cela qu'il évitait certaines images reconnaissables, comme les illustrations de Gustave Doré et de William Blake.
Le surréalisme fut un choc pour le monde entier. Ernst était un pionnier à cause de ses nouvelles techniques qu'il nommait Übermalung, frottage, grattage, décalcomanie et collage. Pour créer son univers iconoclaste et blasphématoire, il utilisait des thèmes empruntés à la religion catholiques, mais aussi l'explication des rêves que donne Freud. L'impact fut énorme. Peut-être même particulièrement dans le genre humoristique. Le dessinateur américain Edward Gorey fut redevable à ses trouvailles, comme beaucoup d'autres artistes. Egalement aux Pays-Bas, sa technique de collage a eu un impact durable. En 1977 par exemple, Gerrit Komrij a fait vingt poèmes avec des collages de l'artiste J.B. Meinen, qui furent publiés sous le nom de De verschrikking. Rudy Kousbroek publia en 1981 Vincent of het geheim van zijn vaders lichaam, avec des illustrations qu'Ernst aurait pu utiliser pour ses collages.
La femme 100 têtes fut le premier roman-collage. Le titre est déjà en soi un collage riche de significations: La femme cent têtes tout comme La femme sans tête - et il y a encore d'autres possibilités comme: '100 têtes', 'sans tête', 's'entête' ou 'sang tête'. Les neuf chapitres 'racontent' les aventures d'une femme, qui, pour certains, représente la vierge Marie. Elle s'appelle Wirrwarr, Perturbation et Germinal ('ma soeur', qui bivouaque toute seule au milieu de fantômes et de fourmis). Etant donné que les pages ne contiennent qu'une seule illustration accompagnée d'une brève légende, le lecteur doit surtout suivre la piste des illustrations. Même si leur effet se veut déconcertant, leur signification est cruciale. Dans le premier chapitre par exemple, les collages successifs s'avèrent tous prendre position contre le dogme de l'Immaculée Conception. Les légendes ont été publiées séparément plus tard par Ernst dans Le poème de la femme 100 têtes (1959). Deux autres romans-collages ont été publiés en 1930 et 1934. Rêve d'une petite fille qui voulut entrer au Carmel contient une certaine intrigue, et pour Une semaine de bonté, l'auteur a emprunté des idées à l'érotisme, l'hystérie et au mysticisme.
Rencontre
Les deux premiers romans-collages sont parus chez Carrefour, la maison qui appartenait au libraire Pierre Lévy (1894-1945). Cette jeune maison d'édition parisienne publie de 1929 à 1931 le magazine surréaliste Bifur et elle a réuni assez rapidement et jusqu'en 1931 quelques grands noms de la littérature du vingtième siècle: Max Ernst, Henri Michaux, Franz Kafka, James Joyce, William Carlos Williams et Man Ray. L'éditeur et l'artiste se sont rencontrés en 1926 à l'occasion de l'exposition d'une série de gravures d'Ernst: 'L'histoire naturelle'.
Le 20 décembre 1929, La femme 100 têtes est paru. Etant donné que la production était coûteuse et la vente incertaine, 1000 exemplaires seulement furent imprimés. La vente s'est avérée excellente et en quelques semaines le stock de l'édition du Carrefour fut épuisé. En plus de l'édition normale, 88 exemplaires sont parus sur Hollande Pannekoek. Dans ces exemplaires, les gravures sont imprimées de façon plus nette et elles sont mieux préservées. L'exemplaire que possède la Bibliothèque nationale des Pays-Bas est le numéro 51/88. Il contient comme annexe supplémentaire un catalogue de l'importante exposition en 1921 à la Galerie Au Sans Pareil, qui sur invitation d'André Breton, était entièrement consacrée à l'œuvre d'Ernst. Le livre est relié par l'Atelier Alix (Paris) d'une manière assez simple en cuir vert, en cassette. Les Alix sont des relieurs depuis des générations et le chef de l'atelier de reliure de la Bibliothèque nationale de France (BnF) appartient à cette famille. En 1949, sa petite-fille Hélène Alix, qui y travaillait également à la BnF, quitte cet emploi pour se mettre à son compte et créer avec son mari son propre atelier. En 1959, l'atelier continue à fonctionner malgré la mort du mari, Henri Alix (il n'avait que 38 ans), et par la suite, Jean-Bernard, leur fils, viendra y travailler comme relieur. Beaucoup de reliures faites par Alix présentent des motifs abstraits, basés sur des dires de l'auteur et de l'illustrateur sur l'histoire ou sur les personnages du livre. L'atelier produisait également des reliures dans un style plutôt Art déco.
MAX ERNST-LA FEMME CENT TETES 1929
MAX ERNST-LA FEMME CENT TETES REEDITION 1955
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