vendredi 30 août 2013

Rencontres d'Arles 2013 : Untouched, Guy Bourdin.

 
 
Guy Bourdin-1950 55 Paris après-guerre
 
 
 
Avant la couleur, Guy Bourdin s'épanouit dans l'ombre
 
 
"Vu le thème choisi par les Rencontres d'Arles cette année – le noir et blanc –, la présence de Guy Bourdin a de quoi surprendre. Après tout, le photographe de mode à l'humour grinçant (1928-1991) est avant tout connu comme un coloriste. Pour ses images construites comme des scénarios de films noirs, il a donné au vernis à ongles l'apparence du sang, il a inventé des crimes cachés derrière des piscines trop bleues pour être honnêtes. Pourtant, l'univers du photographe est tout aussi prenant et troublant dans ses images en noir et blanc : c'est ce dont convainc sans peine la commissaire Shelly Verthime, qui travaille avec le fils du photographe sur ses archives depuis plus de douze ans. D'ailleurs, celle-ci remarque : "La moitié des images de Bourdin pour le magazine Vogue ont été faites en noir et blanc."
 
 
Ce qui pourrait n'être qu'un fond d'atelier sans intérêt dévoile les préoccupations profondes de l'artiste, avant ou au-delà de son travail de mode - il se destinait au départ à la peinture. Dans les années 1950, alors que l'école humaniste (Willy Ronis, Edouard Boubat...) saisit l'envie de vivre qui caractérise l'après-guerre, Guy Bourdin montre au contraire des visions troubles : enfants cachés dans des renfoncements sombres ou des rues étroites, sols qui se dérobent sous les pieds, passants l'air absorbé ou inquiet. Un garçon en béret regarde un kiosque qui demande : "A quel âge la majorité sexuelle ?"

INFLUENCE DE MAN RAY

Chez Bourdin, le surréalisme n'est jamais loin. Dans les inscriptions sur les murs, ou chez ce baigneur photographié aux bains Deligny : il a des cicatrices en forme d'ouïes, à la façon de Kiki transformée en violon par Man Ray – le photographe surréaliste fut d'ailleurs un ami de Bourdin. On retrouve ces influences dans la première image de mode publiée par Bourdin dans Vogue en 1955 – en noir et blanc –, qui ouvre l'exposition : un mannequin très chic encadré par trois têtes de veau, les yeux fermés et la langue qui pend. Bourdin avait photographié son modèle devant l'étal d'une boucherie, avant de recadrer la photo, supprimant une grande partie du contexte pour rendre l'image plus abstraite et inquiétante. Pour l'époque, ce mélange de chic et de morbide était osé.

Pour accompagner les petites images d'archives, la commissaire a aussi ressorti des portraits méconnus du début de carrière de Bourdin, réalisés pour le magazine Nouveau Femina. Des images déjà radicales : à chaque fois, c'est le lieu qui l'emporte sur le personnage, souvent rejeté dans un coin de l'image, comme enfermé dans la photo. Le sculpteur César est ainsi dévoré par ses œuvres. Même lorsqu'il photographie sa femme, Guy Bourdin la noie dans le cadre : il aime avant tout les murs lépreux et les maisons abandonnées, et enferme les enfants dans des cages. C'est cet univers sombre et déroutant qu'il va transposer dans son travail de mode, transformant les rouges à ongles et les chaussures à talons en armes menaçantes.

En contrepoint des images méconnues de Bourdin, la commissaire présente aussi quelques Polaroid noir et blanc plus familiers, que Bourdin a pris tout au long de sa carrière : ils lui servaient de pense-bête lors des shootings, de brouillon ou de journal intime. Il y déploie l'étendue de son registre – des ambiances urbaines, des bâtiments industriels y côtoient les jeux de jambes de mannequins. Tout le vocabulaire de Bourdin est déjà là, en noir et blanc : des grillages, des reflets doubles, des fenêtres qui donnent sur le vide. Et toujours des portes ouvertes sur des histoires à inventer."


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LE MONDE |

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