CADAVRE EXQUIS
cadaver exquisito 1936
cadaver exquisito 1936 ANFONSO BUNUEL
« Le Cadavre exquis a, si nous nous souvenons bien - et si nous osons ainsi dire - pris naissance vers 1925 dans la vieille maison, depuis lors détruite, du 54 de la rue du Château. C'est là que, bien avant de se vouer à la prospection de la littérature américaine, Marcel Duhamel tirait de sa participation assez fantaisiste (mais de grand style) à l'industrie hôtelière de quoi héberger à demeure ses amis Jacques Prévert et Yves Tanguy, qui n'excellaient encore que dans l'art de vivre et de tout animer de leurs saillies. Benjamin Péret y fit aussi un long séjour. Le non-conformisme absolu, l'irrespect le plus général y étaient de mode, la plus belle humeur y régnait. Le temps était au plaisir et rien autre. Chaque soir ou presque nous réunissait autour d'une table où le Château-Yquem ne dédaignait pas de mêler sa note suave à celle, autrement tonique, de toutes sortes d'autres crus.
« Quand la conversation commençait à perdre de sa verdeur autour des faits de la journée et des propositions d'intervention amusante ou scandaleuse dans la vie d'alors, il était de coutume de passer à des jeux - jeux écrits tout d'abord, combinés pour que les éléments du discours s'y affrontent de manière au possible paradoxale et que la communication humaine, dévoyée ainsi au départ, fasse courir à l'esprit qui l'enregistre le maximum d'aventure. De cet instant aucun préjugé défavorable - et même bien au contraire - n'était marqué envers les jeux de l'enfance pour lesquels nous retrouvions, quoique sensiblement accrue, la même ferveur qu'autrefois. C'est pourquoi, amenés à rendre compte par la suite de ce qu'à nos yeux avaient eu, parfois, de bouleversant nos rencontres dans ce domaine, nous n'avons eu aucune difficulté à convenir que la méthode du Cadavre exquis ne diffère pas sensiblement de celle des "petits papiers". Rien n'était assurément plus facile que de transposer cette méthode au dessin, en utilisant le même système de pliage et de cache.
« CADAVRE EXQUIS. - Jeu de papier plié qui consiste à faire composer une phrase ou un dessin par plusieurs personnes, sans qu'aucune d'elles puisse tenir compte de la collaboration ou des collaborations précédentes. L'exemple, devenu classique, qui a donné son nom au jeu, tient dans la première phrase obtenue de cette manière : Le cadavre-exquis-boira-le-vi
« La critique malintentionnée des années 25 à 30, qui nous a plaints de nous complaire à ces distractions puériles et en même temps nous a suspectés d'avoir individuellement (et plus ou moins laborieusement) produit au grand jour de tels "monstres", a donné là une mesure supplémentaire de son incurie. Ce qui nous a, en effet, exaltés dans ces productions, c'est la certitude que, vaille que vaille, elles portent la marque de ce qui ne peut être engendré par un seul cerveau et qu'elles sont douées, à un beaucoup plus haut degré, du pouvoir de dérive dont la poésie ne saurait faire trop de cas. Avec le Cadavre exquis on a disposé - enfin - d'un moyen infaillible de mettre l'esprit critique en vacance et de pleinement libérer l'activité métaphorique de l'esprit.
« Tout ce qui est dit ici vaut aussi bien sur le plan graphique que verbal. Ajoutons qu'une énigme considérable, en chemin, se trouve soulevée, énigme posée par la très fréquente rencontre d'éléments ressortissant à la même sphère au cours de la production à plusieurs de la même phrase ou du même dessin. Cette rencontre est non seulement susceptible de faire jouer nerveusement les discordances parfois extrêmes mais encore entretient l'idée d'une communication tacite - seulement par vagues - entre les participants, qui demanderait à être réduite à ses justes limites par le contrôle du calcul des probabilités mais tend, pensons-nous, à s'avérer positive en fin de compte.
« Dans leur volonté préexistante de composition en personnage, les dessins obéissant à la technique du Cadavre exquis ont, par définition, pour effet de porter l'anthropomorphisme à son comble et d'accentuer prodigieusement la vie de relation qui unit le monde extérieur et le monde intérieur. Ils sont la négation éperdue de la dérisoire activité d'imitation des aspects physiques, à quoi il est encore une grande partie - et la plus contestable - de l'art contemporain pour demeurer anachroniquement assujettie. Puissent, à son grand arroi, lui être opposés quelques salutaires préceptes d'indocilité qui s'en voudraient d'exclure tout humour et le convient à un sens moins larvaire de ses moyens. »
André Breton (Le surréalisme et la peinture, Nouvelle édition revue et corrigée, 1928-1965, Paris, Gallimard, 1965, pp. 288-290).
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