C’est au fond d’une cour du quartier de la Bastille que nous l’avons retrouvé, dans son atelier modeste et soigné – comme lui! Aucun tableau sur le chevalet, aucun dessin qui traîne (le mystère de la création est bien gardé), aucune poussière ou sciure dans l’atelier de menuiserie, juste à côté, où, sous les outils en rangs d’oignons, les scies sauteuses ressemblent à de gros insectes endormis.
Sur les murs et les étagères, un surréaliste bric-à-brac de pièces issues de la nature ou de la main de l’homme arrête notre regard. Des santons italiens côtoient des boîtes de papillons ou des crânes, tandis qu’en haut de l’armoire, une tête d’ours sculptée tient compagnie à une tortue et un iguane naturalisés. Ici, une poule montée par un squelette de lilliputien. Là, des masques d’animaux avec béret et casquette, un squelette humain à tête d’ours portant une perruque à la Tatie Danielle… Sur une étagère, des livres sur l’alchimie, l’anatomie, les exvoto, l’histoire du costume ; Casanova et Beksinski ; des contes “inquiétants et sardoniques”. Cioran, Nietzsche et Heidegger, souvent cités par l’artiste, sont restés à la maison.
Dans cette caverne lumineuse et singulière, le grand maître français du réalisme visionnaire, gaillard de 81 ans au visage lisse comme ses tableaux, continue à se rendre chaque jour, volant ce temps de création à une vie bien chargée, pour le partager entre l’écriture, le dessin, la peinture et la menuiserie.« Je suis un grand bricoleur », déclare-t-il d’emblée, comme pour faire diversion. Car s’il aime à fabriquer ses cadres en bon artisan ,Claude Verlinde est avant tout l’auteur d’une des plus fascinantes peintures de notre époque.
Voilà une cinquantaine d’années maintenant, que, formé « bien inutilement » (selon lui) aux Beaux-Arts et à La Grande Chaumière, cet enchanteur solitaire mène en philosophe fabuliste,« loin des broussailles du désert artistique », sa réflexion sur la vie et sur le monde, disséquant de son pinceau bistouri les arcanes de l’âme humaine.
D’origine flamande, il a conservé le savoir-faire des anciens : l’exécution lisse et minutieuse, l’huile, la toile marouflée sur bois. Bosch, Bruegel sont passés par là. Mais aussi Cranach, Rembrandt, Goya et Van Eyck. « Je ne peins que ce qui m’a profondément touché, mes tableaux m’imprègnent longuement », confie cet alchimiste des temps modernes, qui réfléchit et peaufine ses tableaux pendant des semaines, voire des années. « Je n’en fais qu’un seul à la fois, jamais plus de cinq à six par an. »
Que disent-ils? Paraboles aux titres éloquents ou méditations construites en de savants jeux de miroirs, ils dénoncent la fuite du temps, la vanité de l’existence, les travers de la société. Voyeurs, paresseux ou squelettes enjoués y courtisent des vierges évaporées prises au piège de leur innocence ou de leur narcissisme dans des décors de fin du monde.
Un ton sarcastique, parfois cruel, pour des histoires vieilles comme le monde, qui mettent en scène fous et bonimenteurs, hommes poires et femmes polochons, mauvais juges et moutons de Panurge.
Dans ces villes flottantes ou ces paysages arides se croisent aussi, parfois, lecteurs, dormeurs, poètes ou routes au tracé énigmatique…
En accord avec son art et avec ses écrits, ce libre penseur, nommé chevalier des Arts et des Lettres en 1986, renonçait, il y a peu , à présenter sa candidature à l’Institut, dont il serait, pourtant, le digne représentant. Son oeuvre, boudé des musées français mais recherché par les collectionneurs, est exposé dans le monde entier, des États-Unis au Japon, de Bruxelles à Montréal, séduisant ceux qui, par leurs actions ou leurs mots, aiment à pourfendre, comme lui, le culte des apparences…
Valérie Collet (publié dans Valeurs Actuelles 11 Juin 2008)
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