Né à Anvers d’une mère wallonne et d’un père flamand, Marcel Mariën entre en 1933 au lycée d’Anvers où il éprouve des difficultés d’adaptation, l’enseignement y étant entièrement donné en flamand. Le jour de ses quinze ans, il est placé comme apprenti chez un photographe et s’essaie lui-même à la photographie. La même année, il fréquente l’École populaire supérieure pour les travailleurs et découvre dans une exposition deux tableaux de René Magritte. En 1936, il découvre les livres et les revues surréalistes, commence à écrire des poèmes dans leur esprit. Coursier et gratte-papier chez un agent de change dont il détourne quelques sommes, il va voir en 1937 à Bruxelles René Magritte, rencontre ainsi Paul Colinet puis Louis Scutenaire, Irène Hamoir, Paul Nougé, et participe en septembre à l’exposition surréaliste organisée par E. L. T. Mesens à Londres. Il y expose son premier objet, L’introuvable (titre donné par Magritte), ses lunettes, qu’il vient de casser, réduites à un seul verre et deux branches.
Faisant à partir de janvier 1939, pour dix-sept mois, son service militaire à Anvers, Mariën collabore en janvier 1940 à L’Invention collective de Magritte et Ubac. Pendant son service dans l’armée belge, il fabrique des permissions à la chaîne en contrefaisant la signature de son commandant. En 1939, il écrit au roi Léopold III pour lui suggérer « d’intervenir sans tarder pour que l’on élevât anticipativement un monument aux morts de la guerre qui s’annonçait ». Il signe sa requête Léon Degrelle.
Lors de l’invasion de la Belgique, il soigne les blessés à l’hôpital d’Anvers avant d’être évacué en mai, transportant avec lui deux grandes valises bourrées de livres dont il réussira à ne pas se séparer. Replié sur Dunkerque et Berck, il est fait prisonnier, regagnant à pied Anvers puis traversant la Belgique en camion, mené en train à Nuremberg puis au camp de Görlitz en Haute-Silésie, affecté près de Hohenelbe (Vrchlabi, en tchèque) au déboisement et au terrassement. Après neuf mois de captivité, il est en 1941 libéré à Anvers, retrouve à Bruxelles (en bicyclette) Magritte, Nougé, Scutenaire, Ubac et rencontre Christian Dotremont. Il fonde alors les éditions L’Aiguille aimantée (nom donné par Nougé) qui publie notamment Moralité du sommeil de Paul Éluard, avec trois dessins de Magritte, et fait la connaissance d’« Elisabeth » qui sera durant dix ans l’une de ses passions les plus durables.
Mariën participe rapidement avec Scutenaire et Nougé à l’invention des titres des peintures de Magritte. À partir de 1942 il se rend fréquemment à Paris transportant clandestinement pour un commerce illégal des toiles de Renoir, Picasso, Léger, Chirico ou Magritte. « De 1942 à 1946, je vendis un nombre important de dessins et de tableaux, attribués principalement à Picasso, Braque et Chirico, tous confectionnés par Magritte », écrit-il lui-même. Il peut ainsi publier plusieurs ouvrages sous l’enseigne Le Miroir infidèle. Autour de la revue La Main à plume, il rencontre à Paris Queneau, Leiris, le peintre Dominguez. En août 1943 il publie la première biographie de Magritte dont il défendra en 1947, dans Les corrections naturelles, la « période Renoir ». À Louvain il prononce avec Dotremont une conférence sur le surréalisme. En 1945 Mariën collabore à la revue Le Ciel bleu avec Colinet et Dotremont, commence de publier avec Magritte une série de prospectus et tracts mystificateurs et subversifs (L’imbécile, L’emmerdeur et L’enculeur, ces deux derniers saisis par la poste), publie La terre n’est pas une vallée de larmes (Breton, Char, Colinet, Dominguez, Dotremont, Eluard, Irène Hamoir, Magritte, Picasso, Queneau, Scutenaire, Ubac) et, en 1946 et 1947, édite la collection Le Miroir infidèle.
En 1948 Mariën s’installe comme bouquiniste à Bruxelles, survivant grâce à des travaux de dactylographie. Il envisage avec Nougé la reprise de Correspondance. « Par nécessité autant que par désespoir sentimental », il s’engage en décembre 1951 à Rotterdam comme garçon de mess sur le « Silver Ocean », battant pavillon suédois, cargo équipé de cales frigorifiques pour le transport des fruits. Il fait ainsi la navette entre les Antilles françaises (Fort-de-France ou Basse-Terre) et la Normandie (Rouen ou Dieppe), pratiquant la contrebande de cigarettes et de parfums. Son retour à Bruxelles est fêté le 8 mars 1953 par un banquet, chez Geert van Bruaene, auquel participent Goemans et Colinet, E. L. T. Mesens, René et Georgette Magritte, Irène Hamoir et Louis Scutenaire. Mariën vit alors quelque temps avec une prostituée du quartier de la gare du Nord, écrit des articles pour le conseiller culturel soviétique, écoule sur la proposition de René Magritte, avec son frère Paul Magritte, un stock de 500 faux billets de 100 francs belges qu’il assure dans ses mémoires avoir été dessinés et gravés par le peintre. Dès mars 1953 il rencontre Jane Graverol lors du vernissage d’une exposition de Magritte qu’elle organise dans la cave de Temps mêlés qu’a fondé en décembre 1952 André Blavier à Verviers. Durant une dizaine d’années il vivra avec elle une liaison tumultueuse. Ils fondent ensemble avec Nougé la revue Les Lèvres nues, subversive, anticléricale et staliniste, qui paraît en avril 1954 et publie en janvier 1956 Histoire de ne pas rire, recueil des écrits théoriques de Nougé. Il rompt avec Magritte en 1954.
En février 1955, il a l’idée d’envoyer des cartons d’invitations dupeurs à une cérémonie d’hommage à un André Breton qui se prend trop au sérieux: « Dans un froid glacial, une cinquantaine de personnes, dont la presse et la radio, s’étaient rendues à l’hôtel Lutecia pour y tomber sur un colloque des Auvergnats de Paris, marchands de bois-charbon. »
La même année, il crée le Prix de la Bêtise Humaine qui est décerné conjointement au roi Baudouin, pour son voyage au Congo belge et à André Malraux pour l’ensemble de son œuvre esthétique.
Marcel Mariën écrit en 1956 un texte précurseur qui se présente comme une violente charge contre l’automobile, « des Bâtons dans les Roues« . C’est sans doute l’un des tous premiers textes historiques qui dénonce l’automobile, bien avant Ivan Illich ou André Gorz :
"Les adversaires déclarés d’un progrès absurde et moribond, de toute évidence dépassé, sans attendre le nettoyage politique et moral de la société, se constitueront en fractions occultes et agissantes, et entameront dès à présent une lutte sans merci contre l’automobile. On mobilisera comme on peut, pour cette mission civilisatrice la canaille des bas-fonds, les désœuvrés de toutes catégories (philatélistes, souteneurs, terrassiers, etc.), les enfants des écoles et les vieillards des hospices. Nous laissons aux exécutants le soin de nuancer, de varier au gré des circonstances les moyens qui répondent le mieux à cet impératif: rendre toujours plus intolérable la fonction d’automobiliste, engeance qu’il s’agit littéralement de faire enrager, de façon à la contraindre, par le désespoir ou la honte, à renoncer à sa provocante ferraille.
Au début, on se bornera à provoquer des embouteillages en détraquant systématiquement la signalisation. (En bloquant les feux rouges, par exemple ou encore en faussant les plaques indicatrices: le sens interdit à chaque extrémité de la rue, le sens giratoire multiplié de telle manière que les véhicules soient entraînés dans des remous concentriques avant qu’ils ne puissent réaliser ce qui leur arrive). Une simple interruption du trafic, si elle se prolonge au-delà de quelques minutes, suffit aujourd’hui à paralyser pour des heures la circulation, chaque colonne immobilisée de voitures entravant le trafic latéral et, par ricochet, celui de la ville toute entière. Il conviendra donc d’étudier et de dresser les plans d’une stratégie générale portant sur les fréquences et les densités de la circulation pour l’ensemble de la ville donnée.
Voilà de quoi occuper louablement la jeunesse, cette jeunesse qui ne saurait être assez délinquante. Les enfants, eux non plus, ne sont pas à négliger. Les poètes de 7 ans, méprisant les conférences de presse et les cocktails littéraires, favorisés par leur taille menue, ne manqueront pas de remettre en honneur le morceau de sucre, plus maniable et non moins efficace que la dynamite, et que d’une main discrète ils glisseront adroitement dans les réservoirs. A ce propos, une propagande sournoise pourra être faite chez les distributeurs d’essence, qui ne négligeraient pas, afin de parfaire le « plein », d’ajouter cette pièce décisive avant de revisser le bouchon. De chacun on attendra en outre qu’il ne sorte plus sans avoir les poches remplies de clous que, sans être vu, il saura semer sur les chaussées, aux bons endroits, comme on fait de l’huile pour apaiser la fureur des flots. Qui préfère crever directement les pneus s’armera d’un canif. Qui préfère détériorer les carrosseries (il faut songer aux côtés esthétiques de la passion que nous entreprenons de combattre), emportera avec lui les outils appropriés. Des farces dites idiotes pourront également être expérimentées, comme par exemple d’enchaîner l’une à l’autre, le soir, deux voitures en stationnement, ou même une demi-douzaine si la chaîne est assez longue et le cadenas qui doit assujettir les extrémités, solide et d’un modèle peu commun. Enfin pour celui que le manque de loisirs ou la crainte réduirait aux simples fonctions de spectateur, il ne résistera point au devoir, lorsqu’un automobiliste l’interrogera sur le chemin à suivre pour gagner tel ou tel endroit, de lui en indiquer un tout opposé, judicieusement choisi cependant, de manière à entraîner sa victime dans des rues notoirement encombrées.
La propagande pour l’assainissement se développant, l’organisation occulte qui la dirige trouvera maintes occasions de recruter quelque allié au sein même de la gent automobile, au point de susciter dans ses rangs quelques conversions éclatantes. Qu’on ne néglige pas alors de tirer de ces illuminés le meilleur parti. On les maintiendra à leur volant avec la mission de déconcerter « de l’intérieur » le trafic routier, de façon à circonvenir l’ennemi sur deux fronts à la fois. "
Marcel Mariën – des Bâtons dans les Roues – 1956
Ce texte a ceci de remarquable qu’il a été écrit au milieu des années 1950, c’est-à-dire au début de la généralisation de l’automobile, à une époque où tout le monde considère la voiture comme un progrès. Il met en évidence déjà l’absurdité du système automobile et son inefficience pour assurer un transport de masse des personnes. Par les modalités d’action proposées, Marcel Mariën se présente ainsi comme le père fondateur de la théorie de l’emmerdement maximal.
A la fin des années 1950, Mariën se lance dans l’escroquerie et le cinéma. Il raconte ainsi dans ses mémoires une escroquerie dont il a l’idée en 1958. Au concours organisé par la société dans laquelle il travaille et patronné par une marque de poudre de lessive, il fait gagner, ayant la connaissance de la moitié des réponses, d’importantes sommes à des comparses. Le concours est cependant rapidement suspendu comme constituant une infraction à la réglementation des jeux de hasard. Avec ses gains illicites, Mariën, après avoir réalisé en 1958 un film expérimental de cinq minutes, Opus Zéro, produit et réalise en 1959 le film L’Imitation du cinéma, dont Tom Gutt est l’acteur principal, farce érotico-freudienne contre l’Église, qui provoque lors de sa projection le 15 mars 1960 un scandale suivi le 17 d’une plainte déposée au parquet de Bruxelles. Le film sera encore projeté à Liège, à Anvers dans une salle des fêtes et à Paris au Musée de l’Homme puis, la demande d’autorisation repoussée, interdit en France en février 1961.
En juin 1962 Mariën confectionne contre Magritte le tract apocryphe Grande baisse, illustré d’un billet de cent francs à l’effigie du peintre, qui présente un barème définitif de ses œuvres à des prix dérisoires et mystifie jusqu’à André Breton. Magritte complètement effaré, recevra aussitôt des félicitations d’un peu partout…
Il part ensuite en 1963 pour les États-Unis tenter de rejoindre, en vain, une jeune nièce d’« Elizabeth ». Il s’y fait garde-malade, commis dans une librairie, dactylographe, et tente de vendre ses projets de films. Jane Graverol, dont il est séparé depuis quatre ans le rejoint, mais ils se séparent de nouveau quelques mois plus tard. Tandis qu’elle rentre en Europe, Mariën traverse les États-Unis, de Philadelphie et Chicago à San Francisco.
En 1964 Mariên s’embarque pour le Japon puis Saigon, non sans participer au passage selon ses mémoires à un trafic de lingots d’or, Singapour et Hong Kong. À partir de septembre il travaille durant seize mois à Pékin comme correcteur du journal de propagande La Chine en construction, croise Chou En-laï, Tchen Yi et Teng Siao-ping, prenant rapidement une conscience « horrifiée », écrira-t-il, de « la supercherie monumentale du pseudo communisme chinois » et de « la condition authentiquement faite à l’homme » sous son régime. Ayant rompu son contrat il passe par Hong Kong, le Viêt Nam, la Malaisie, l’Inde, le Pakistan et l’Égypte pour débarquer à Marseille en mars 1965.
Rentré à Bruxelles, Mariën publie en 1966 L’Expérience continue de Nougé et de très nombreux textes inédits des surréalistes belges dans Les Lèvres nues de 1968 à 1975 (douze numéros) et dans la collection Le Fait accompli (135 numéros), notamment les écrits de Magritte et le Journal de Nougé. Ses publications seront illustrées d’œuvres de Jane Graverol, Valentine Hugo, Hans Bellmer, Magritte, Yves Bossut et Claudine Jamagne. Une première exposition, Rétrospective et nouveautés, 1937-1967, présente en 1967 ses collages, de caractère érotique pour les uns, pornographique pour les autres, et ses objets, composés à partir de 1966. À la préface provocante qu’écrit alors Scutenaire, Mariën répondra en 1972 par une satire féroce de l’auteur des Inscriptions. Mariën se marie en 1969 puis divorce. À l’occasion de la dixième biennale de poésie organisée en 1970 au casino de Knokke, il édite et distribue un carton composé de deux volets détachables, dont l’un avec la mention « Bon pour sauter une poétesse« . La même année il provoque une affaire judiciaire en dénonçant l’exposition de faux Magritte dans une galerie de Bruxelles. Pour avoir rappelé son passé collaborateur, il est en 1973 traîné en justice par Marc Eemans mais, défendu par Tom Gutt, gagnera le procès en 1975.
Mariën publie en 1979 l’ouvrage de référence sur l’histoire du surréalisme en Belgique. En 1983 Georgette Magritte lui intente un procès à la suite de la publication du Radeau de la mémoire, dans lequel il raconte ses aventures avec Magritte, et en 1988 Irène Hamoir après l’édition d’éléments de la correspondance de Scutenaire (à propos de l’exclusion du groupe d’André Souris). Mariën, qui chaque fois répond par des tracts, n’en édite pas moins en 1990 l’ensemble des lettres que Scutenaire lui a adressées entre 1936 et 1976. Il meurt en 1993 d’un cancer, à la clinique César de Paepe à Bruxelles. Au cimetière de Schaerbeek est gravée sur sa tombe une phrase extraite de l’un de ses derniers carnets : « Il n’y a aucun mérite à être quoi que ce soit« .
Article tiré du site Carfree.fr
MARCEL MARIEN-1937 L'INTROUVABLE
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