En marge du surréalisme, Gérard H. Goutierre évoque le comédien Pierre Bertin et son amitié avec Guillaume Apollinaire, inventeur du mot surréaliste...
Les Soirées de Paris
Revue fondée en 1912
publication du 8 novembre 2013
Rappelez-vous. C’est l’une des dernière scènes des Tontons flingueurs (ne dites pas que vous ne l’avez jamais vu : sorti en 1963, ce film culte de Gorges Lautner, avec des dialogues tout aussi cultes de Michel Audiard est régulièrement diffusé depuis sur les écrans de TV, toujours avec le même succès). Les « tontons » se retrouvent retranchés dans une grosse demeure bourgeoise assiégée par le clan adverse. Ça canarde de tous les côtés (avec des armes munies de silencieux, bien sûr, ce « détail » compte pour le charme de la scène). Et puis petite musique guillerette, celle de Michel Magne, géniale. Un vieux monsieur très bien, très digne, portant lorgnon, gants et chapeau, se présente dans la maison où se trouvent entre autres Francis Blanche, Lino Ventura et Robert Dalban. Non content d’être très soigné, le vieux monsieur est sourd comme un pot, ce qui lui donne, en prime, une petit air Professeur Tournesol. Il se présente, ou plutôt il s’annonce : le président Adolphe-Amédée Delafoy. Les scènes précédentes nous ont appris qu’il occupait les plus éminentes fonctions au sein du Fonds monétaire international. C’est le papa d’Antoine Delafoy (Claude Rich), le fiancé de Patricia. Il s’adresse à Lino, entre deux fusillades et, avec une préciosité inégalable : « Eh bien, j’ai l’honneur de vous demander la main de votre nièce Patricia pour mon fils Antoine« . La scène est savoureuse….
Ami de Jean Louis Barrault, il fut l’un des piliers de sa troupe avec laquelle il parcourut le monde. Si Les Soirées de Paris lui rendent hommage, c’est que Pierre Bertin a fréquenté le milieu littéraire et artistique des « grandes » années du début du XXe siècle, et qu’il a notamment été l’un des proches d’Apollinaire. Naissance à Lille en 1891, études de médecine, puis Paris ; le démon du théâtre et de l’art lyrique le tenaille depuis l’enfance. Il rencontre Erik Satie et se lie d’amitié avec lui. Le compositeur lui dédiera son « Piège de Méduse ».
Agé d’une vingtaine d’années, Pierre Bertin devint rapidement l’une des figures connues des réunions artistiques ou littéraires qui se tenaient à Paris alors que la guerre faisait encore rage, notamment en 1917. Cette année-là, on le voit chez Paul Guillaume, le marchand de tableaux qui organise quelques réunions mondaines. Le gazetier de l’époque écrit : « Le programme est de dégustation rare : Guillaume Apollinaire a parlé de l’art nouveau, l’art de demain (encore un!) celui du toucher {…} Pierre Bertin, jeune premier de l’Odéon et metteur en scène de la soirée, qui a tous les talents, chante délicieusement trois petits joyaux d’Auric … ». Au cours de la même soirée, on entendra également la musique toute récente de Parade d’Erik Satie, jouée à quatre mains par le compositeur et la femme de Pierre Bertin, Marcelle Meyer, qui deviendra l’une des très grandes pianistes du XXe siècle (ses enregistrement de Rameau ou Scarlatti son insurpassables).
On retrouve Pierre Bertin le 9 décembre 1917, mais cette fois au Vieux-Colombier. Apollinaire, indisposé, a demandé au comédien de lire, à sa place, sa conférence sur l’Esprit Nouveau. Un texte essentiel, que le Mercure de France publiera en décembre de l’année suivante…un mois après la mort de Guillaume. On apprend par le « Carnet de la Semaine » qu’au cours de cette même soirée, Pierre Bertin a également lu « Les Pâques » de Cendrars. On croit rêver…
Comédien, chanteur, metteur en scène, auteur de plusieurs ouvrages, Pierre Bertin évoque ses rencontres dans un livre publié il y a une quarantaine d’années aux éditions du Rocher, Le Théâtre et/est ma vie, préface de Jean-Louis Barrault. On lira avec émotion ces témoignages sur cette époque charnière. Et notamment le paragraphe où Pierre Bertin parle des Soirées de Paris : “Il y avait eu aussi avant 1914 un groupe merveilleux qui fut à l’origine de tous ces mouvements: celui des Soirées de Paris, le groupe d’Apollinaire, en somme ! Les Soirées de Paris étaient le nom d’une revue qui avait été lancée avant la guerre par mon ami Serge Férat (Serge Jastrebov, sic) qui la subventionnait, car il recevait encore de l’argent de Russie ! Admirable série de revues, mine rare pour les bibliophiles ou les amateurs de cette époque si riche. Il faut lire absolument la collection des Soirées de Paris. Nous, nous vivions là dedans. C’était l’amitié la plus pure qui régnait parmi nous tous. On se réunissait chez Serge, devant la Carriole du douanier Rousseau, qui lui appartenait alors. Serge habitait avec sa sœur, la baronne d’Œttingen, écrivain curieux et racée, attachée comme Pénélope, à une tapisserie bigarrée, inachevée à jamais« .
Ses souvenirs sur la personnalité de Guillaume Apollinaire sont du plus grand intérêt. « Apollinaire, espèce de géant, débonnaire et rieur, très gentil, aimait à se répandre partout. Il avait l’esprit de la blague, il aimait les mystifications {…}. Nous disions ses vers et il venait nous entendre, ravi {…} .Ce nom d’Apollinaire avait un petit goût romain qui lui plaisait. Il était lui -même assez romain d’aspect car il avait l’air d’un César ! Il se mettait volontaires de profil, avec son masque néronien ou caligulien. Il était fort impressionnant à voir. L’appartement qu’il habitait était plein de fantaisie poétique. Au cinquième ou sixième étage d’une des maisons du boulevard Saint-Germain, il y avait là les premières peintures cubistes assez ternes et sales, qui viennent d’être vendues pour des millions. Il me guidait dans la préparation de mes programmes ;“ Je n’ai pas de voix, disait il, je ne peux pas parler en public, vous lirez ma conférence“.
Cet acteur dont le nom ne figure que modestement au générique, dont on ne parle plus guère, fut en réalité l’un des plus grands comédiens français du siècle passé. Sociétaire de la Comédie française, il interpréta tous les grands classiques et joua dans plus d’une centaine de pièces de théâtre, et autant de films.
Agé d’une vingtaine d’années, Pierre Bertin devint rapidement l’une des figures connues des réunions artistiques ou littéraires qui se tenaient à Paris alors que la guerre faisait encore rage, notamment en 1917. Cette année-là, on le voit chez Paul Guillaume, le marchand de tableaux qui organise quelques réunions mondaines. Le gazetier de l’époque écrit : « Le programme est de dégustation rare : Guillaume Apollinaire a parlé de l’art nouveau, l’art de demain (encore un!) celui du toucher {…} Pierre Bertin, jeune premier de l’Odéon et metteur en scène de la soirée, qui a tous les talents, chante délicieusement trois petits joyaux d’Auric … ». Au cours de la même soirée, on entendra également la musique toute récente de Parade d’Erik Satie, jouée à quatre mains par le compositeur et la femme de Pierre Bertin, Marcelle Meyer, qui deviendra l’une des très grandes pianistes du XXe siècle (ses enregistrement de Rameau ou Scarlatti son insurpassables).
On retrouve Pierre Bertin le 9 décembre 1917, mais cette fois au Vieux-Colombier. Apollinaire, indisposé, a demandé au comédien de lire, à sa place, sa conférence sur l’Esprit Nouveau. Un texte essentiel, que le Mercure de France publiera en décembre de l’année suivante…un mois après la mort de Guillaume. On apprend par le « Carnet de la Semaine » qu’au cours de cette même soirée, Pierre Bertin a également lu « Les Pâques » de Cendrars. On croit rêver…
Comédien, chanteur, metteur en scène, auteur de plusieurs ouvrages, Pierre Bertin évoque ses rencontres dans un livre publié il y a une quarantaine d’années aux éditions du Rocher, Le Théâtre et/est ma vie, préface de Jean-Louis Barrault. On lira avec émotion ces témoignages sur cette époque charnière. Et notamment le paragraphe où Pierre Bertin parle des Soirées de Paris : “Il y avait eu aussi avant 1914 un groupe merveilleux qui fut à l’origine de tous ces mouvements: celui des Soirées de Paris, le groupe d’Apollinaire, en somme ! Les Soirées de Paris étaient le nom d’une revue qui avait été lancée avant la guerre par mon ami Serge Férat (Serge Jastrebov, sic) qui la subventionnait, car il recevait encore de l’argent de Russie ! Admirable série de revues, mine rare pour les bibliophiles ou les amateurs de cette époque si riche. Il faut lire absolument la collection des Soirées de Paris. Nous, nous vivions là dedans. C’était l’amitié la plus pure qui régnait parmi nous tous. On se réunissait chez Serge, devant la Carriole du douanier Rousseau, qui lui appartenait alors. Serge habitait avec sa sœur, la baronne d’Œttingen, écrivain curieux et racée, attachée comme Pénélope, à une tapisserie bigarrée, inachevée à jamais« .
Ses souvenirs sur la personnalité de Guillaume Apollinaire sont du plus grand intérêt. « Apollinaire, espèce de géant, débonnaire et rieur, très gentil, aimait à se répandre partout. Il avait l’esprit de la blague, il aimait les mystifications {…}. Nous disions ses vers et il venait nous entendre, ravi {…} .Ce nom d’Apollinaire avait un petit goût romain qui lui plaisait. Il était lui -même assez romain d’aspect car il avait l’air d’un César ! Il se mettait volontaires de profil, avec son masque néronien ou caligulien. Il était fort impressionnant à voir. L’appartement qu’il habitait était plein de fantaisie poétique. Au cinquième ou sixième étage d’une des maisons du boulevard Saint-Germain, il y avait là les premières peintures cubistes assez ternes et sales, qui viennent d’être vendues pour des millions. Il me guidait dans la préparation de mes programmes ;“ Je n’ai pas de voix, disait il, je ne peux pas parler en public, vous lirez ma conférence“.
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