L'article du monde du Monde daté du 7 novembre fait un parallèle entre l'exposition parisienne LES SURREALISTES ET L'OBJET et l'exposition lyonnaise JOSEPH CORNELL ET LES SURREALISTES A NEW YORK...
JOSEPH CORNELL-1931 Untitled (Schooner)
Philippe Dagen
Encore une occasion d'épiloguer sur le peu de coordination des musées français, d'une part, et sur le succès du surréalisme, d'autre part : le Centre Pompidou et le Musée des beaux-arts de Lyon présentent simultanément des expositions sur des sujets proches l'un de l'autre. A Paris, ce sont les rapports du surréalisme aux objets, qu'il les trouve, les modifie ou les fabrique. A Lyon, c'est l'Américain Joseph Cornell (1903-1972), dont l'œuvre se compose de collages et d'assemblages enfermés dans des boîtes : elle est la seule dans ce cas de tout le surréalisme. Mais elle n'est pas mentionnée dans l'exposition parisienne. Parce qu'il n'y avait plus de prêts disponibles ? Pour marquer une différence ?
A l'inverse, Man Ray, Alexander Calder, Marcel Duchamp, André Breton, Salvador Dali ou Max Ernst sont dans les deux musées, parfois avec les mêmes multiples. N'aurait-on pu faire autrement ? Et pourquoi deux institutions françaises programment-elles en même temps des manifestations si proches, au risque de s'appauvrir mutuellement ?
En la circonstance, le vainqueur n'est pas celui auquel on s'attendrait. Le gagnant est celui qui a travaillé le plus longtemps : il a fallu six ans de recherches et de tractations pour que l'exposition lyonnaise, d'une densité exceptionnelle, puisse présenter 269 œuvres. Beaucoup venues de collections privées américaines n'ont jamais été vues en France. L'exposition présente une histoire du surréalisme entre Paris et New York portée à un rare degré de précision et de qualité. Les comparaisons sont pertinentes, la chronologie claire, l'accrochage au service des œuvres et de leur compréhension.
L'EXPOSITION RELÈVE PLUS DE L'ABRÉGÉ QUE DE LA CHRONIQUEAu Centre Pompidou, le sentiment est autre. Les vastes espaces, à l'exception de deux salles, paraissent un peu vides en dépit des 200 œuvres au répertoire. L'exposition relève plus de l'abrégé que de la chronique. Problèmes de prêts ? Sans doute, car on s'expliquerait mal sinon que quelques-uns des captivants plâtres d'Alberto Giacometti soient montrés à l'état de bronzes, issus de fontes tardives, sinon posthumes. De même, la salle consacrée à l'exposition surréaliste de 1936 dans la galerie de Charles contient des objets qui n'y figuraient pas : ce n'est pas une reconstitution, mais une évocation.
Le visiteur qui ne connaît pas, avant d'entrer, l'exposition internationale du surréalisme de 1938 ou celle qui eut lieu chez Daniel Cordier en 1959, nommée « EROS », aura de la peine à les imaginer et risque d'ignorer, par exemple, la part qu'y prit Duchamp.
A l'inverse, il aura vu, avant de parvenir à ces sections, des œuvres de Cindy Sherman, Paul McCarthy, Philippe Mayaux ou Théo Mercier, artistes vivants. Ils sont ici au titre de continuateurs du surréalisme, ce qui paraît assez réducteur. Si la continuité du mouvement jusqu'à maintenant est le sujet, alors on ne comprend pas pourquoi Louise Bourgeois, Annette Messager ou Frédérique Loutz sont absentes. S'il s'agit d'occuper les vastes espaces du sixième étage de Beaubourg, c'est qu'il manque des pièces historiques – dont des Cornell évidemment.
Tout cela peut agacer. Le surréalisme n'était pas un spectacle multimédia conçu pour amuser et séduire. Sans doute est-il désormais difficile de percevoir aussi vivement que dans les années 1930 ce que la Poupée d'Hans Bellmer avait alors de scandaleux, et les sculptures de Giacometti d'agressif. Mais leur présentation dans l'exposition beaubourgienne n'aide pas à ressentir ces qualités et l'intensité psychique qui les soutenait.
UN POUVOIR DE SURPRISE INTACT
Pourquoi ce magnétisme, qui fonctionne mal à Paris, opère-t-il à Lyon ? D'abord parce que les œuvres de Cornell sont moins connues. Leur pouvoir de surprise demeure intact, d'autant plus que ses collages et assemblages ont l'énigmatique, l'inexplicable, l'injustifiable pour principes. Dans des écrins ronds ou des boîtes rectangulaires, Cornell dispose des éléments qui n'ont aucune relation logique simple entre eux. Il commence vers 1931, dans son appartement new-yorkais. A cette date, le surréalisme parisien ne lui est connu que partiellement, mais il en devient vite familier grâce à l'action de la galerie Julien Levy, qui est aussi la sienne à partir de 1932. L'année suivante, il rencontre Duchamp, qu'il assistera à partir de 1942 pour la réalisation de la Boîte-en-valise. Il voit les films de Man Ray, qui ne sont pas sans rapport avec les collages de pellicule qu'il réalise aussi, dont son Rose Hobart, en 1936, chef-d'œuvre de désorganisation du récit filmique habituel. En 1938, Breton et Duchamp le montrent dans l'exposition internationale qui se tient à Paris.
DE FAÇON LUXUEUSE
Ces éléments historiques, les jeux de correspondances, la géographie transatlantique des œuvres et des idées sont montrés de façon luxueuse, d'une salle de portraits photographiques signés Man Ray et Lee Miller à une salle de peintures assez sidérante, qui réunit Giorgio De Chirico, Yves Tanguy et Max Ernst.
Mais l'essentiel du plaisir est dû à Cornell et à nul autre. Il ne se répète pas. Il ne tombe ni dans l'emphase ni dans l'autocitation. Il lui suffit, si l'on peut dire, de collecter tout ce qui lui tombe sous les yeux en fait d'images, de petites choses, de débris, de bouts de bois ou de coupons d'étoffe et de les disposer dans l'espace de la boîte ou du coffret. L'adresse maniaque avec laquelle il joue de la profondeur, de l'illusion de perspective, des qualités tactiles des éléments récupérés lui permet d'aller du fantastique au burlesque, de la cosmogonie infinie à la banalité. Il insère des allusions à l'histoire de l'art, narquoises souvent. Il glisse des souvenirs d'enfance. Vers 1960, il s'en va du côté de l'effacement, du silence et s'approche, à sa manière discrète, du minimalisme qui est en train de naître. Cela non plus, on ne l'avait jamais vu aussi bien qu'ici.
Conclusion : ceux qui aiment le surréalisme et n'habitent pas Lyon prendront le train.
Le Surréalisme et l'objet. Centre Pompidou, Paris 4e. Du mercredi au lundi de 11 heures à 21 heures. Entrée : de 11 € à 13 €. Jusqu'au 3 mars 2014.
Joseph Cornell et les surréalistes à New York : Dali, Duchamp, Ernst, Man Ray . Musée des beaux-arts, 20, place des Terreaux, Lyon. Du mercredi au lundi de 10 heures à 18 heures. De 6 € à 9 €. Jusqu'au 10 février 2014.
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